S’il est une chose qu’il m’est permis de constater au sortir du Forum national sur le livre et la lecture, c’est qu’il a ouvert une brèche dans le microcosme littéraire sénégalais. C’est une première dans notre histoire, et l’on s’en félicite. Vivement ! Le Grand Théâtre était plein à craquer : des vagues humaines, tous âges confondus, sobrement vêtues, affluaient dans la salle. Du moins j’ose croire que cette foule n’était pas politique, et même si tel était le cas, ce serait bénin. Le livre le mérite. Les écrivains, plus que jamais, doivent influencer les masses, sortir des sentiers battus pour faire face aux réalités actuelles. Une chose est certaine : autre époque, autres réalités. Les enjeux sont différents. Le livre, en tant que canal éducatif, facteur de cohésion sociale et d’émancipation, doit aujourd’hui se faire underground, impacter positivement la société dans sa globalité, circuler dans les ghettos, non pas comme un luxe que seuls acquièrent les dominants ou quelques privilégiés, mais comme un bagage précieux à la portée de tous.

Pour que cela soit, il nous faut penser une véritable politique du livre. C’était l’objet du Forum. Les acteurs de la chaîne du livre convergent tous vers cette idée implacable. En réalité, cette politique ne peut être l’affaire d’un seul ministère — celui de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme —, car ce serait méconnaître le caractère transversal, transdisciplinaire et circulaire du livre, ainsi que les rôles que peuvent jouer d’autres ministères : celui de l’Éducation nationale, de la Santé et de l’Hygiène publique, de l’Intégration africaine, des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, ou encore celui de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, entre autres.

« L’éducation par le livre pour une souveraineté éclairée », le thème du Forum, nous incite à réfléchir sur le type de société que nous voulons bâtir pour les générations futures. Il montre ainsi que le livre, en tant qu’instrument de savoir et de réflexion, peut contribuer à former des citoyens éclairés, capables de renforcer l’autonomie et la souveraineté intellectuelle, culturelle et politique d’une société. Le président Bassirou Diomaye Faye, en ce sens, nous rappelle dans son élogieux discours : « Le livre abolit le temps, raccourcit les distances, traverse les civilisations, relie les consciences. »

Même si le livre reste un outil essentiel de formation, de culture et de citoyenneté, son accès demeure inégal au Sénégal, malgré les efforts de l’État, des collectivités locales et des acteurs privés. Selon un rapport de l’UNESCO intitulé « L’industrie du livre en Afrique : Tendances, défis et opportunités de croissance (2024-2025) », le secteur du livre au Sénégal compte 2 250 emplois, avec 51 maisons d’édition, 10 librairies et 125 titres publiés par an. Il y a donc un véritable travail à mener pour que le livre devienne une industrie culturelle et créative à part entière. En effet, l’un des freins majeurs à la revitalisation de la lecture publique et à une meilleure circulation du livre, c’est le taux d’analphabétisme : le rapport du cinquième recensement général de l’ANSD montre que 37,1 % des Sénégalais âgés de 10 ans et plus ne savent ni lire ni écrire, dans aucune langue. Pour une meilleure valorisation des langues nationales, cette problématique devrait être réglée. Sinon, ce serait souffler sur des braises mortes en espérant rallumer le feu.

Le Forum national sur le livre a, en outre, été un moment de retrouvailles, de réflexion et de consolidation des liens affectifs entre les différents acteurs du livre. Écrivains, éditeurs, diffuseurs, imprimeurs, critiques littéraires, chercheurs, bibliothécaires, libraires et lecteurs se sont retrouvés pendant deux jours, travaillant dans une synergie particulière pour rehausser le secteur. Cependant, on s’attendait à des panels où les échanges seraient plus intenses, avec des contradictions, des débats d’idées, des réflexions profondes et structurées autour de la thématique proposée. En effet, j’ai beaucoup apprécié le coup de gueule de mon ami poète Cheikh Tidiane Gaye, qui guerroyait contre l’indifférence des autorités quant à la place de Senghor au Sénégal, ainsi que la protestation véhémente de la romancière Mariama Ndoye. Ce qui était formidable et beau à voir, c’est que les deux écrivains, dans un bel esprit de maturité, se sont retrouvés en aparté après le panel, ont échangé en toute sérénité, dissipé leurs malentendus et tourné la page dans un climat apaisé. Je garde également en mémoire la remarquable plaidoirie de l’éditeur Abdoulaye Diallo sur la souveraineté éditoriale et le professionnalisme des acteurs du livre. J’ai aussi souri lorsqu’un participant, prétendant écrire un livre sur les « emprunts obligataires », répétait à la place « emprunts obligatoires.» Le Sénégal est un beau pays — loolu tamit dëgg la !

Le Forum m’a également permis de revoir Waly Ndour, directeur des Éditions Séguima, avec qui j’avais eu, au mois de juillet dernier, un échange tendu sur la toile. Il m’a serré la main, et j’ai trouvé son geste salutaire — ndekke te yoo, écrivains yi amu ñu bakkaar, mdr. De même, j’étais heureux de revoir Papa Samba Badji. Je ne dirai rien sur lui, Papa Samba Badji mooy Maître du jeu éditions. J’ai aussi été touché de voir PMSY serrer la main de M. Ibrahima Lo, après leurs joutes intellectuelles sur certaines questions relatives au livre. En tant que poète, j’ai trouvé ces moments séduisants, émouvants, beaux et pleins d’enseignements.

Par ailleurs, même si des initiatives bienveillantes et lucides ont été prises pour rendre le Forum inclusif, et malgré les efforts déployés, nous avons relevé quelques manquements sur les plans technique et organisationnel : la communication, la programmation et la restauration laissaient à désirer. Mais rien de bien grave pour une première édition. 

Malgré ces défaillances qu’il aurait fallu éviter, nous saluons les efforts de l’État, du Ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme — à travers M. Amadou Ba —, ainsi que ceux de la Direction du Livre et de la Promotion de la Lecture, conduite par M. Ibrahima Lo et toute son équipe. 


Fara Njaay
Poète-écrivain
Dakar, le 20 octobre 2025