Par Cheikh Moussa Dienne maître coranique 

Résumé

Cet article propose une lecture comparative de deux versets coraniques (20:124 et 43:36), des analyses existentialistes de Heidegger, Sartre et Camus, et des nouvelles spiritualités contemporaines. Il met en lumière la convergence des diagnostics sur l’expérience d’angoisse, de vide et d’impasse que vit l’homme lorsqu’il se détourne d’un horizon transcendant ou lorsqu’il est confronté à la condition humaine déconnectée de sa prédestination. Les divergences apparaissent dans l’origine et la résolution de cette condition : le Coran attribue l’angoisse à l’oubli du rappel divin et offre le Zikru’Lah comme remède.

Introduction

À la croisée du spirituel, du philosophique et du contemporain, cet article met en regard trois univers de pensée : la révélation coranique, l’existentialisme moderne et les spiritualités contemporaines. Les versets 20:124 et 43:36 décrivent la vie angoissée et étroite de celui qui se détourne du rappel divin, tandis que Heidegger, Sartre et Camus analysent l’existence humaine comme marquée par l’angoisse et l’impasse. Les nouvelles spiritualités modernes apparaissent comme des tentatives d’élargir le cœur et de trouver la tranquillité intérieure face à cette vie étroite.

L’homme sans Rappel est comme un navire sans boussole : il erre dans l’étroitesse et l’ombre de ses illusions.

1. Le Coran et la loi spirituelle de l’oubli du Rappel 

Dans la sourate Tâ-Hâ (20:124), il est dit :

« Quiconque se détourne de Mon rappel mènera certes une vie pleine de gêne, et Nous le ressusciterons, le Jour de la Résurrection, aveugle. »

Selon At-Tabarî, l’expression ma‘ishatàn dànka désigne une existence anxieuse et oppressée, même dans l’abondance matérielle. Ibn Kathîr souligne que celui qui s’éloigne du Zikru’Lah « n’aura dans son cœur aucune quiétude, même si extérieurement sa vie paraît prospère ». Al-Qurtubî ajoute que cette étroitesse se manifeste aussi dans l’au-delà par une cécité spirituelle. Le Zikru’Lah doit être compris dans toute sa plénitude, à savoir le rappel permanent de la prééminence de Dieu dans l’observation de Ses prescriptions en tout lieu, à tout instant et dans tout acte.

«  Quiconque s’écarte du Rappel du Miséricordieux, Nous lui assignons un démon comme compagnon… » Ce verset 43:36 complète ce tableau : l’oubli du rappel entraîne la compagnie d’un compagnon démoniaque, qui asservit l’homme à ses illusions et passions. En effet, le démon est un influenceur toxique doté d’un irrésistible pouvoir contre tout individu qui s’écarte du Rappel, même s’il se dit croyant. Dieu a donné au démon cette autorisation ; autorisation ( pouvoir ) qui lui est refusé à l’égard des bienfaisants, c’est-à-dire les croyants sincères oeuvrant dans le bien.

Les actes de violence ainsi que la bestialité qui se généralisent témoignent de l’accuité de la puissance d’influence satanique sur les hommes.

2- Illustration contemporaine de la « vie étroite »

La ma‘ishtàn dànka peut être observée dans plusieurs phénomènes contemporains :

a. Le stress et les angoisses 

Le stress chronique coûte plus de 1 000 milliards de dollars par an à l’économie mondiale et produit fatigue, anxiété et incapacité de concentration. Il est une cause d’accidents du travail, de violences et de détresse. Malgré l’immensité des conforts matériels, le malvivre continue d’hanter la vie des hommes.

b- les suicides

Dans les pays de l’OCDE, le taux moyen de suicide est d’environ 13-16 décès pour 100 000 habitants.

Exemple : aux États-Unis, environ 47 646 suicides ont été enregistrés en 2021 ; en France, 9 200 suicides en 2022 ; au Japon, 21 000 suicides en 2021 ; et en Chine, environ 17 000 suicides en 2021.

Les tentatives sont beaucoup plus fréquentes, estimées à 25 fois le nombre de suicides réussis aux États-Unis.

c.  La Fuite et la quête éphémère de sens

Certains gens se tournent vers des aventures extrêmes ( mouvements hippie par exemple), voyages ou usages de substances pour échapper à la pression et au vide intérieur, témoignant de la ma‘ishatàn ḍankan contemporaine.

Le suicide est même la première cause de mortalité chez les adolescents japonais, illustrant la gravité de l’angoisse existentielle dans cette tranche d’âge.

La vie étroite ne se mesure pas à la richesse, mais à l’oppression du cœur : le stress, le désespoir, la colère et la fuite éphémère sont ses marques contemporaines.

d- la violence, la drogue, la facilité des vices et des colères ainsi que la bestialité dans les choix et les comportements des gens. Aux États-Unis, en 2023, plus de 884 000 agressions agravées ont été recensées. L’insécurité physique et morale fait partie du quotidien dans pratiquement toutes les contrées du monde.

3. L’existentialisme et la condition angoissée

Heidegger, Sartre et Camus décrivent une condition humaine intrinsèquement confrontée au néant, à l’absurde et à l’angoisse. Cette analyse rejoint l’expérience coranique de la ma‘ishatàn dànkàn : une vie resserrée, marquée par l’incertitude et la peur de l’impasse.

L’angoisse n’est pas un accident : elle révèle que l’existence, seule, ne suffit pas à l’homme. 

4. Les nouvelles spiritualités et quête contemporaine de tranquillité

Les spiritualités modernes, le développement personnel et certaines pratiques de type New Age apparaissent comme des tentatives de réponse à la ma‘ishatàn ḍankan :

a. Retrouver la tranquillité intérieure : Méditation, yoga et rituels spirituels réduisant stress et anxiété.

b. Échapper à la cécité spirituelle : Guides, communautés et pratiques symboliques offrent un soutien psychologique.

c. Créer un horizon de sens : Ces pratiques proposent d’élargir l’existence intérieure, en comblant partiellement le vide existentiel.

Les nouvelles spiritualités tentent de remplacer, de manière partielle ou symbolique, d’offrir des techniques et des communautés pour élargir le cœur et apaiser l’angoisse. 

Analyse critique : Ces solutions sont temporaires et limitées, alors que le Zikru’Lah offre une voie universelle et durable.

5. Convergences et divergences

  • Convergences :

Expérience de vie étroite et angoissée.

Besoin d’un horizon ou d’une pratique qui élargisse l’existence.

Recherche de sens face à la solitude et à l’impasse existentielle.

  • Divergences :

Origine :  Coran – oubli du dhikr ; Existentialisme – liberté humaine ; Spiritualités modernes – anxiété et stress.

Solution :  Coran – Zikr et guidance divine ;  Existentialisme – assumer l’absurde Spiritualités modernes – pratiques symboliques ou psychologiques.

Là où l’existentialisme décrit l’impasse, le Coran ouvre une issue : le Zikru’Lah élargit le cœur et libère l’âme en cultivant une quiétude intérieure inébranlable. 

«  Ceux qui croient et nourrissent leurs cœurs par le Zikru’Lah … c’est uniquement par le Zikru’Lah que se nourrissent ( s’apaisent ) les cœurs. »   Sourate le Tonnerre 13 : 28.

Ce verset donne la solution à « la vie étroite pleine de gêne » évoquée dans la sourate Ta Ha.

Conclusion

Malgré l’immensité du confort matériel, l’homme reste confronté à la vie étroite, au stress, à l’angoisse et à la violence. Il évolue dans un monde saturé de pressions sociales, académiques, professionnelles… Les chiffres contemporains (suicides, recours aux tranquillisants et aux drogues, stress économique, angoisses, malfaisances, discordes familiales et sociales…) illustrent la ma‘ishatàn dànka et la compagnie du démon. Les solutions spirituelles, qu’elles soient coraniques ou modernes, tentent de répondre à cette quête de sens et d’apaisement. Selon le Coran, seul le Zikru’Lah offre une issue durable, universelle et accessible à toutes les volontés, en nourrissant véritablement le cœur et en libérant l’âme de toute pression négative.

L’angoisse et la cécité spirituelle racontent la même vérité : l’homme a besoin d’un horizon qui l’apaise. 

illustration : Gemini