
Par Adama Samaké
La discrimination entre les genres, c’est-à-dire la hiérarchisation sociale en fonction des genres fait partie des grandes questions sociales contemporaines. LA DOMINATION MASCULINE de Pierre Bourdieu (Paris, Seuil, 1998), les deux tomes de la réflexion de Simone de Beauvoir : LE DEUXIÈME SEXE (Paris, Gallimard, 1949) en sont des preuves.
L’on peut également mentionner la création du concept d’identité de genre par Michel Foucault, Jacques Derrida, Simone de Beauvoir… pour désigner la conscience qu’on a d’appartenir à un sexe particulier.
Danièle Kergoat constate que » Les situations des hommes et des femmes ne sont pas le produit d’un destin biologique mais sont d’abord des constituants sociaux constants ».
La littérature, africaine en particulier n’est pas restée en marge de cette réflexion. Elle s’est investie à fond dans la problématique du genre parce que, pour suivre Odile Tobner, « La femme est la meilleure figure poétique d’une société dominée par la colonisation ». C’est le lieu de dire que la littérature africaine écrite est fille de la colonisation.
Il en résulte que la figure de la femme occupe une place de choix dans l’écriture de Mongo Beti. Celle-ci se présente en effet comme une réflexion sur l’origine des inégalités sociales entre les genres ; car elle analyse les conditions de la survivance identitaire des genres minoritaires.
Je fonderai ici mes idées sur l’image de la femme dans TROP DE SOLEIL TUE L’AMOUR. Je précise, toutefois, que cette image est partagée dans tous les romans de Mongo Beti, surtout VILLE CRUELLE et PERPÉTUE.
Mongo Beti y dresse le portrait de la femme dans la société africaine ante et post indépendance. Ce portrait n’est pas reluisant. En effet, la femme se présente comme un être abusé. Dans TROP DE SOLEIL TUE L’AMOUR, elle est marginalisée et vue comme un objet érotique. Elle est opprimée, privée de ses droits élémentaires, régulièrement trompée, bafouée, soumise, humiliée, violée. Élisabeth alias Bébète et Nathalie sont abusées par Georges Lamotte. Nathalie n’a que treize ans. Elle est abusée avec le consentement de son oncle Ebenezer. Il y a donc ici deux types de dépravation des moeurs : la pédophilie et le proxénétisme parental. Il faut aussi retenir que ces rapports sont menés contre le gré des adolescentes.
Bébète, ex amante de Georges Lamotte, rencontre Zam qui se détermine par son irresponsabilité. Le constat est que les différentes relations amoureuses évoquées ne donnent aucun espoir d’une vie conjugale à la femme.
La société du roman dévoile un sociolecte de libertinage et de crime sexuel : garce, pute, prostituée, proxénète, sodomisé, viol, bétail sexuel, etc. Même le titre est une forme d’expression métaphorique de la souffrance de la femme. Dans ce contexte, le titre signifie qu’aucune relation sentimentale ne peut se construire dans des conditions de vie exécrables. Rappelons pour une meilleure compréhension que le soleil dans la formulation du titre de cet ouvrage a trait à la souffrance et à l’oppression des Noirs sous l’esclavage et la colonisation. Le lecteur est convié ici à prendre connaissance de la préface de Odile Tobner dans TROP DE SOLEIL TUE L’AMOUR.
Toutefois, Mongo Beti montre que la femme ne reste pas indifférente à sa condition précaire. Il la présente aussi comme un être révolté. Bébète est le symbole de cette prise de conscience. En effet, si Nathalie, naïve, devient docile parce que Georges Lamotte lui a promis de l’emmener en France , Bébète refuse en ces termes: « Pas question de quitter mon pays « . Elle rompt le silence et les relations avec Georges Lamotte: un acte de bravoure qui lui permet de préserver sa dignité et son honneur. En d’autres termes, briser le silence initie un processus révolutionnaire mais reste également un acte héroïque. C’est pourquoi, le narrateur évoque implicitement Rosa Parks par une comparaison à la » situation des Noirs à Montgomery, Alabama en 1955″.
Il découle de ce qui précède que Mongo Beti milite pour que la femme soit l’avenir de l’humanité. Pour lui, une femme sans avenir ne peut être l’avenir d’une Nation, encore moins de l’humanité.
Mongo Beti pratique une écriture féministe qui enseigne que faire de la femme un Sujet de l’Histoire exige sa libération totale. C’est-à-dire l’instauration d’une égalité parfaite des genres reposant sur la justice sociale. En donnant une vue pessimiste de la femme, Beti s’inscrit dans la dénonciation des pratiques sociales qui l’emprisonnent et simultanément dans le processus de son rétablissement dans ses droits. LA PROBLÉMATIQUE DU STATUT SOCIAL DE LA FEMME EST AU CŒUR DE L’ÉCRITURE DE MONGO BETI.
Extraits de notre ouvrage LA FEMME : PERCEPTION, REPRÉSENTATIONS ET SIGNIFICATIONS, PARIS, COMPLICITÉS, 2018.
