
RÉPONSE À AMADOU LAMINE SALL
Le plaidoyer pro domo du début de votre texte sur les raisons de votre démission et votre auto-flagellation (« J’avoue que notre maison d’édition n’a pas déployé tous les moyens …les éditions feux de brousse n’ont pas été à la hauteur ») n’intéressent personne et n’ont aucune espèce d’importance. L’œuvre que vous avez publiée n’a pas eu les faveurs du jury. Vous êtes déçu et mécontent et vous exprimez votre ressenti. Je le comprends. Vous êtes libre de dire à haute et intelligible voix ce que vous pensez car la pensée univoque n’est pas souhaitable pour la littérature. Ce que je comprends moins c’est le curieux dérapage qui vous conduit à insulter le jury et la faiblesse de votre argumentaire. Laissant de côté les multiples digressions, j’insisterai sur ces deux points.
1-Rhétorique de l’injure
Une démarche curieuse vous conduit à attaquer le jury qui n’est pas anonyme. Pour votre gouverne, il est composé de personnalités connues, reconnues et respectées du monde de la culture sénégalaise : Aminata Sow Fall, Sokhna Benga, Fama Diagne Sène, Andrée-Marie Diagne, Annie Coly, Abdoulaye Racine Senghor, Baytir Kâ, Ibrahima-M. Lô de la DLL et le regretté Madieyna Ndiaye. Je considère comme un immense privilège le fait d’avoir été élu président. Les différents membres du Jury, à la haute compétence desquels je rends ici hommage, ont travaillé dans la convivialité, le respect mutuel, la rigueur et la patience. Aucun d’eux n’a de leçon de courage à recevoir de vous (« certains membres du jury, courageux, se confiaient »).
Vous n’avez pas le droit d’insulter le jury. Car, lorsque vous écrivez « la qualité et la fiabilité du jury posaient problème », ce n’est, ni plus ni moins, une injure. Le problème, c’est vous. Les mots ont un sens. Quand vous insultez les gens en dénonçant injustement leurs lacunes intellectuelles, il faut vous attendre à un retour de bâton car le reproche rejaillit pour s’adresser au sujet qui le formule. C’est un terrain extrêmement glissant. Dénoncer la qualité et la fiabilité du jury, c’est poser le problème de la valeur. Alors quelle est la valeur de la valeur ? Vous parlez à partir de quel point de vue ? Le discrédit jeté sur les membres du jury pose un énorme point d’interrogation sur votre statut.
Dès sa mise en place, le Jury a commencé à travailler dans la sérénité avec la DLL représentée par Ibrahima M. Lô dont la courtoisie, le professionnalisme, la générosité, le sens du respect et la grandeur d’âme sont à saluer. Une fois le règlement conçu et diffusé, les auteurs ont déposé leur œuvre. Il s’agissait, au total, de 29 (vingt-neuf) textes. Le volume de travail était énorme parce que chaque membre du jury a dû lire (et parfois relire) tous les 29 textes. Après cette phase, le travail du Jury s’est poursuivi car, après la présélection, les 10 œuvres retenues seront relues par chacun des membres en insistant, entre autres, sur la qualité de la langue, le respect des contraintes du genre et la créativité. C’est un travail intense et difficile mais exaltant car il s’agissait d’illustrer l’idée que la République a des Lettres.
Après sept réunions tenues soit à la Maison de la Culture Douta-Seck soit à la DLL, les membres du Jury se sont rencontrés pour confronter leurs lectures et leurs résultats. Les débats ont été riches et fructueux pour tout le monde ; ils ont aussi permis d’apprécier les qualités et les avantages d’un Jury composé de personnes venues d’horizons divers. Les membres du Jury ont parlé des différentes œuvres en prenant le temps d’aborder tous les aspects. Très exigeant, le Jury a mis la barre très haut pour, à la fois, rendre son prestige au Grand Prix du Président de la République pour les Lettres (édition 2016) et pour redynamiser la création littéraire dans notre pays. Puis le Jury s’est réuni pour une délibération finale et a retenu unanimement Rahmatou Samb-Seck, Fergo. Tu traceras ta route et Andrée-Marie Diagne-Bonané, La Fileuse d’amour.
2-Faiblesse de l’argumentaire
Pour aller droit à l’essentiel, vous nous dites que Sabaru jinne. Les tram-tams du diable est un « chef-d’œuvre » qui mériterait le grand prix. Pour étayer cette affirmation grave (au latin de gravis, lourd), vous nous parlez très vaguement de « techniques narratives » (sans autre précision) et d’une « autre approche » de ce que l’on a appelé le nouveau roman français. C’est, à la fois, un peu court et très décevant. Est-ce que vous avez connaissance du contenu des 29 œuvres présélectionnées et des 10 nominées ?
Vous ne pouvez pas en même temps exprimer vos « respects aux primés » et, dans le même mouvement, remettre en cause le classement du jury qui, selon vous, « ne méritaient pas un tel chef-d’œuvre ». D’après vous, c’est une « solide œuvre de création, de créativité », une œuvre « phénoménale et époustouflante » qui est supérieure aux autres textes. Vous ne nous dites pas cependant ce qui fonde cette appréciation dithyrambique et surtout les qualités que présente ce roman et qui sont absentes des autres œuvres.
Nous sommes habitués au dialogue car le Sénégal est une vaste terre de culture mais votre argumentation est très maigre ; elle est à renforcer. Votre texte est une juxtaposition d’affirmations gratuites. On atteindrait difficilement un tel exemple d’audace tranquille dans l’imposture. De la sorte, votre mal semble échapper à toute rédemption.
Dans cette réaction très tardive, vous vous comportez en Locataire du néant. Dans le mauvais sens, bien sûr.
Alioune-B. Diané
Président du Jury Du GPCE