Sidy Chérif SARR
Doctorant en Sciences du langage
À l’Université Cheikh Anta DIOP

« Sur la berge du fleuve Doué » de Amadou Hamé NIANG, pourrait être perçu comme étant un roman qui retrace la vie d’un jeune haal pulaar, originaire d’un village du Fouta « Aram Soubalo » du nom de Boulba.
Le titre est illustratif, le fleuve Doué se trouvant dans son village natal qui est un point d’eau attractif (où se regroupent les gens pour pêcher, faire le linge, se baigner …) qui regorge aussi beaucoup de potentialités. Être sur la berge, est symbolique.
Ce roman à allure autobiographique est une forme de communication écrite qui plonge le lecteur dans deux mondes différents : la ville marquée par la capitale Dakar et la campagne matérialisée par le village natal « Aram Soubalo ». Dès lors, l’auteur fait une confrontation des cultures, celle dite occidentale et l’autre dite traditionnelle, même s’il n’a pas trop insisté sur cela. L’accent a été mis sur la culture africaine pulaar avec une sorte de retour au village occasionné par les fêtes, une manière pour l’auteur de présenter non seulement la culture peule, mais aussi faire une description de son espace d’origine.
L’histoire a débuté avec son cursus scolaire, précisément lorsqu’il faisait la classe de terminale au lycée Limamou Laye de Dakar.
Fils de thioubalo, il a pourtant hérité de son père Malal un immense troupeau de bovins dont il fructifia une partie en biens immobiliers gérés par un vieil ami de son père Ben Omar avec qui, il entretient de très bonnes relations.
Lors de l’ouverture du foyer du lycée, Boulba, en tant que président, a fortement marqué sa présence et a séduit pas mal de gens de par son discours, son éloquence, son accoutrement et sa forte personnalité.
C’est un récit, marqué par la présence de plusieurs éléments énonciatifs qui font la richesse du discours romanesque. Parmi ces éléments discursifs, on peut citer :
 La présence de formule d’ouverture « du conte pulaar » qui nous plonge dans la tradition africaine pulaar, l’encrage aux valeurs africaines.

 Une polyphonie narrative, marquée par la présence de plusieurs voix (celle de Mme THIAM, une surveillante générale au lycée qui considère Boulba comme son propre fils ; de Boulba, élève en classe de terminale, président du foyer et personnage principal du récit ; de Monsieur DIOP, le proviseur du lycée ; de Kiné, de Saly, de Salma, la grand-mère à Madina Ndiathbé, de Ndoumbé, de Malal, le père de Boulba, de Ndoukouri le berger ; du Censeur des études du lycée ; de Ben Omar, le directeur de l’agence immobilière, qui se charge de la gestion des biens immobiliers de Boulba…ce qui donne au discours une richesse en énonciation avec plusieurs interactions tantôt sous forme dialoguée, tantôt sous forme de discours libre, tantôt sous forme d’injonction surtout les échanges entre Boulba et sa mère.

 La présence de digressions avec l’histoire des deux princes, un conte raconté par la grand-mère de Boulba.

 Des descriptions permanentes (l’atmosphère du lycée, la voie qui mène à l’agence, le rond-point Pikine, le paysage de son village natal « Aram Soubalo », « Son village natal s’offrait dans une vue panoramique » pour ne citer que cela. »

 Des formes de discours variés, tantôt on note la présence d’interactions (dialogues entre Kiné et Saly, Mme Thiam et Boulba, Ben Omar et Boulba, Salma et Boulba, Ndoumbé et Boulba)…

 Présence d’élément énonciatifs : des déictiques personnels qui marquent la présence du locuteur et de son interlocuteur « Dites-moi que je suis bien éveillé…Toi qui ne daignait même pas à accorder le moindre intérêt à tes nombreux admirateurs ; te voilà amoureuse de ce bel inconnu… P 16
« Voilà présentatif pour désigner la personne de Saly.

  • Des déictiques temporels « Depuis quelques jours, elle est soucieuse. » Pour marquer la dureté de l’inquiétude de sa maman que l’auteur nous annonce.
    • La présence de focalisation zéro « Il savait l’attachement de Ndoumbé pour son unique fils.» Ici, l’auteur sait plus que ses propres personnages, il apporte une précision de taille sur la relation maternelle entre Boulba et sa maman.
    • L’implication du narrateur « Farba étudiant lui aussi. Ils avaient fréquenté ensemble l’école élémentaire du village. Aujourd’hui, Farba poursuivait ses études au lycée Baba Ndiongue de Podor. Talla était élancé. Il a abandonné l’école depuis le cycle primaire. », pour revenir sur les relations d’amitié entre Farba et Talla depuis leur enfance.
    • Une forte présence de figures de style :
      Des comparaisons « Une force qui m’attire comme de l’aimant. » page 15 Par-là, Saly donne un poids à son attirance envers le jeune Boulba qui n’a pas cessé de le séduire de par ses actes sur scène.
      Une aiguille rapiéçant infatigablement le tissu familial.
      Elle scrutait son fils du regard.
      Présence d’analepse (des retours en arrière) à l’exemple de l’histoire de son père Malal et ses recommandations.
      Une forte présence des modalités appréciatives marquée par l’emploi des adjectifs qualificatifs
      « Homme taciturne forte personnalité, véridique »
  • Présence de modalités assertives pour informer le lecteur
    « Je me souviens, j’étais en classe de CE2 » p24
    « La route fuyante » Pour mettre l’accent sur l’éloignement de son village de Dakar.
    « L’océan d’obscurité », une exagération pour montrer l’inquiétude de Boulba.

Ce roman du professeur Amadou Hamé NIANG, est un ouvrage qui répond aux normes d’écriture d’une œuvre romanesque, particulièrement celle dite innovante parce qu’elle est marquée par la forte présence d’éléments énonciatifs (des déictiques, des présentatifs, des digressions, des analepses, des descriptions du paysage africain…). De mon point de vue, je trouve que l’auteur s’est substitué au personnage de Boulba, car il maitrise son histoire, sa famille, son village et qu’aucun détail n’est laissé en rade. Une histoire émouvante qui capte l’attention du lecteur et le pousse à s’interroger sur l’encrage aux valeurs africaines.