Cheik Aliou Ndao, de son vrai nom Sidi Ahmed Alioune, est né en 1933 en Casamance, au Sénégal. Enseignant de profession, spécialisé dans l’enseignement de l’anglais, il développe parallèlement une passion pour le théâtre, ce qui le hisse parmi les auteurs les plus renommés du Sénégal. Son engagement pour la transcription des œuvres africaines en langues vernaculaires souligne son scepticisme envers la francophonie, qu’il voit uniquement comme un outil de diffusion. Dans une déclaration à Mots Pluriels en 1999, il affirme : « Nous Africains n’écrivons pas en Français par amour ou à cause d’un choix délibéré. Nous employons la langue de Molière par accident historique. La Francophonie n’est pas notre héritage, car notre Moi profond s’exprime dans nos langues maternelles. »

Un Style Engagé et Authentique
Son roman Buur Tillen Roi de la Médina, publié pour la première fois en 1974, illustre parfaitement sa démarche. Initialement rédigé en wolof, ce roman a été ensuite traduit en français par l’auteur lui-même. Cette œuvre concise aborde une thématique centrale de l’Africanité : l’avenir de l’Africain du point de vue ontologique. Ndao interroge la nécessité pour l’Africain de maintenir ses us et coutumes ancestraux comme références principales face aux nouvelles valeurs véhiculées par la civilisation occidentale.

L’Écho des Valeurs Ancestrales
Le personnage principal, Gorgui, un homme de lignée princière, est contraint de quitter son village après un incident humiliant avec un fonctionnaire français. Réfugié dans un bidonville de la capitale avec sa femme Moram et sa fille Raki, il reste fidèle à ses valeurs ancestrales malgré les moqueries de ses voisins. Gorgui incarne une noblesse stoïque, respectant la dignité de l’homme et de la famille selon les traditions.

Cependant, Gorgui n’est pas totalement opposé aux évolutions des traditions, pourvu que leur essence demeure intacte. Par exemple, il refuse de prendre une seconde épouse malgré les pressions, car Moram n’a enfanté qu’une fille. Mais il ne transige pas sur les fondements des devoirs ancestraux. Sa détermination est mise à l’épreuve lorsque Raki tombe enceinte hors mariage, ce qui le pousse à la chasser malgré les supplications de sa femme.

Modernité et Tradition en Confrontation
La narration explore la dichotomie entre tradition et modernité à travers les conversations des clients d’un maquis où Raki trouve refuge. L’Historien, le Philosophe et le compagnon de Raki débattent sur la pertinence de la condamnation de Gorgui, envisageant la possibilité de concilier tradition et modernité. Ils rêvent d’un monde où les castes seraient abolies au profit de l’égalité et où l’individu pourrait prendre en main son propre destin.

Sobriété et Théâtralité
Le style de Buur Tillen Roi de la Médina est marqué par une grande sobriété. Les descriptions des personnages, des décors et des scènes sont réduites au strict minimum. Cette économie de moyens stylistiques se traduit aussi par une évolution de la forme narrative vers une organisation plus proche du théâtre, reflet de l’influence de cet art sur l’auteur.


Buur Tillen Roi de la Médina est un classique de la littérature sénégalaise, apprécié pour sa profondeur thématique et sa simplicité stylistique. Cheik Aliou Ndao, en soulignant l’importance des langues et des valeurs africaines, contribue significativement à la réflexion sur l’identité et l’avenir de l’Afrique.


Babacar Korjo Ndiaye