
Le recueil Cogitationes Cordis de Dominique SÈNE est une respiration rare : celle d’un cœur pensant, d’un esprit en quête de lumière, d’un poète soucieux de vérité autant que de beauté.
Professeur de lettres et d’espagnol, philosophe de formation, en poste à l’Inspection d’Académie de Kédougou, Dominique SÈNE incarne une figure singulière : celle d’un intellectuel-poète, enraciné dans la tradition humaniste et africain pleinement conscient des enjeux du monde. Après Un monde inconnu, il poursuit ici un cheminement intérieur rigoureux, à la croisée de la réflexion existentielle, de la quête spirituelle et du devoir de mémoire identitaire.
Une poésie du questionnement essentiel
Le titre latin Cogitationes Cordis – les pensées du cœur – annonce la tonalité du recueil : une méditation poétique où l’émotion ne cède jamais sur la pensée, et où la pensée elle-même se nourrit du battement intérieur du cœur. Dominique SÈNE explore ainsi des thématiques majeures : la condition humaine, la faute, la finitude, l’identité, la sagesse. Mais il les aborde avec une retenue élégante, un souci constant d’élévation et une attention fine à l’harmonie du verbe.
Le poème « La philosophie » est emblématique de cette démarche. Loin d’un simple éloge académique, il célèbre la philosophie comme force d’arrachement à la confusion, comme mère nourricière des sciences et comme gardienne de l’éthique. Elle est, dans l’univers du poète, à la fois source de lucidité et rempart contre la banalisation du mal. Dans un style à la fois sobre et dense, Dominique SÈNE réaffirme la nécessité de penser pour mieux vivre, et de penser avec rigueur pour mieux agir.
Une spiritualité sans emphase
Avec « Mea Culpa », le recueil prend un tournant plus intime, presque liturgique. Cette prière poétique, rédigée en français mais ponctuée de latin, révèle une conscience aiguë de la faute et du manque. Loin d’un dolorisme stérile, le texte offre une repentance lucide, empreinte d’humilité, où l’aveu devient chemin d’allègement. L’auteur fait ici œuvre de poète moraliste, à la manière d’un Pascal ou d’un Augustin africain, explorant les failles de l’âme humaine sans jugement ni orgueil.
Cette tension entre lucidité et spiritualité atteint une intensité remarquable dans « La mort », l’un des sommets du recueil. La mort y est apostrophée, interrogée, presque convoquée comme partenaire de dialogue. Le poème oscille entre douleur et acceptation, entre mystère et enseignement. Par une série de questions qui traduisent à la fois la révolte muette et l’attente d’un sens, le poète engage une méditation qui rappelle les grandes pages de la philosophie antique et les chants funèbres de la tradition orale africaine. La référence explicite à Birago Diop – « Les morts ne sont pas morts » – n’est pas simple ornement : elle enracine la réflexion dans une conception circulaire du temps et de l’existence, où les défunts restent présents, agissants, appelants. La dernière strophe, tout en retournement, fait de la mort non plus une fin, mais un miroir nécessaire à l’émergence du sens.
Identité, mémoire et dignité
Dans « Je suis sérère », Dominique SÈNE aborde la question identitaire sans tomber dans les travers de l’ethnocentrisme. C’est un poème de filiation, de transmission, de fidélité à l’éthique communautaire. Le travail, l’honneur, la maîtrise de soi, la verticalité morale sont célébrés non comme des clichés figés, mais comme des lignes de force d’une mémoire vivante. Ce texte, d’apparence simple, est en réalité un plaidoyer pour une modernité enracinée, où l’homme ne renie pas sa source mais y puise sa droiture.
Ce qui frappe dans Cogitationes Cordis, c’est la manière dont la parole poétique échappe à toute tentation de spectaculaire. Dominique SÈNE écrit avec une discrétion rare, dans une langue limpide mais travaillée, sans effet superflu. Cette économie du verbe, cette densité sans emphase, confèrent à sa poésie une profondeur douce, une gravité sans raideur. À travers des vers ciselés mais accessibles, il ouvre un espace de méditation personnelle, où chacun est invité à laisser « cogiter » son propre cœur.
Cogitationes Cordis n’est pas un simple recueil de poèmes. C’est un acte d’écriture profondément éthique, une invitation au silence intérieur, à l’examen de soi, à l’accueil du mystère. Dominique SÈNE y fait entendre une voix singulière dans la poésie contemporaine sénégalaise : celle d’un homme qui croit en la puissance des mots, non pour séduire, mais pour instruire, élever et réconcilier.
Un ouvrage qui mérite d’être lu lentement, médité longuement, et partagé largement.
