
« entre toi et mon corps / nul espace — ant oumenm ak kò m / okenn espas », un tu mouvant, tantôt figure amante, tantôt ville-mémoire. « entre toi et mon corps / nul territoire nul aujourd’hui nul demain — ant ou menm ak kò m / okenn teritwa okenn jodi okenn demen », l’écriture du poète s’inscrit dans un entre-deux vibrant, tissé d’absence et de tendresse.
Publié en 2024 chez Caraïbéditions, avec le soutien de la DAC Guadeloupe, Dans powèm pou sèl sezon flè, Prix International de L’invention poétique 2023, traduit en français par l’auteur lui-même, La danse du poème pour seule saison de fleurs est moins une adresse qu’un appel, moins une confession qu’un chant traversé par les langues, les lieux, les temps. Le poète trace les contours d’un amour loin des rives, d’un exil sans retour, où les corps, les villes et les saisons s’enlacent dans une même allée : celle d’un lieu à habiter, fût-il imaginaire.
Une esthétique de l’entrelacs
L’écriture de Niklovens révèle une mosaïque d’images et de résonances, où le Créole haïtien et le Français se retrouvent pour exprimer une musicalité propre. La langue, tour à tour, donne vie à un imaginaire où se côtoient flèches de douleur et lueurs d’espoir. L’œuvre est ainsi construite sur une dynamique de contraste d’ombre-lumière, où la fragilité humaine devient source de résilience.
Le recueil s’ouvre sur une chanson morcelée (Fragments de chants /Fragman chan), comme pour souligner les couleurs des récits et des souvenirs. Gaza, Damas, Gonaïves, ces noms de villes élevées au rang de symboles témoignent de profondes blessures. Le poète imprègne ces lieux d’une poésie où la coexistence inévitable de la désolation et de l’espoir est chantée avec une intensité saisissante :
Dans les cheveux des villes
une pluie fine
Gaza se lève, les deux paumes contre la terre
s’échappe une prière des fentes de ses doigts
…
nan cheve vil yo
yon ti lapli
Gaza leve toulède men l fas atè
yon priyè degoulinen nan fant dwèt li
Ces fragments se lisent comme des cris sourds et vibrants, des échos qui résonnent au-delà des frontières.
La poésie comme foi et offrande
Dans cette écriture où la transcendance se joint à l’immanence, Niklovens donne à la poésie un rôle d’ancrage et de relèvement. La poésie devient un geste de foi, un art de se maintenir debout dans les ruines, de tracer des lignes d’espoir sur les horizons fracturés.
Les poètes sont des peintres
qui dessinent avec des mots
qui trace une ligne d’horizon
reliant mer et nuages
…
powèt yo se pent
k ap desinen ak mo
trase sou do lorizon yon liy
ki marye lanmè ak nyaj
Cette métaphore de l’œuvre poétique comme ligne de jonction, réconciliation entre le vu et le non-vu, ancre ce recueil dans un élan quasi mystique.
Entre éros et cosmos : une intimité offerte
La deuxième partie, Entre toi et mon corps /Ant oumenm ak kò m, nous plonge dans le vaste de l’intimité. Les thèmes de l’amour, du désir et de l’éphémère font surface face à une méditation sur la désolation du monde. Fransaint y écrit avec une ardeur retenue, tout en puissance et en précision :
Dans mon corps jaillit une insurrection de feu
qui s’enflamme de vie
vivre
vivre comme une tempête
vivre comme un poème — adepte de la beauté et du silence
…
nan kò m jayi yon revòlt dife
ki limen lavi
pou m viv
viv tankou yon tanpèt
viv tankou yon powèm — prechè bèlte ak silans
Cette poésie amoureuse ne se limite pas à l’être individuel, elle devient métaphore du lien universel, celui qui unit les âmes plus loin que des contingences temporelles.
Une poésie du tremblement et de l’engagement
Avec La danse du poème pour seule saison de fleurs/ Dans powèm pou sèl sezon flè, Niklovens Fransaint nous livre une œuvre à la fois personnelle et collective, intime et cosmique. Ce recueil rappelle que la poésie n’est pas seulement un espace de contemplation, mais également présence ardente, une manière de penser le monde depuis ses blessures, d’offrir une parole quand les lieux font silence.
Disponible depuis septembre 2024, ce livre marquera sans aucun doute les esprits de celles et ceux qui cherchent dans le poème non pas une réponse, mais une forme d’habitation, une résistance par la beauté.
Olgens Cénéjuste
Poète
Marrakech, le 20 mai 2025
