Le livre du professeur Amadou Mamadou CAMARA La géographie à l’école., la cédille et le tréma, préfacé par le Professeur Lat Soukabé MBOW vient à son heure.
Paru chez l’Harmattan Dakar, le livre aborde plusieurs questions d’ordre épistémologique, méthodologique, pédagogique et didactique qui donnent à cette discipline toute sa splendeur au sein des sciences de l’homme et de la nature.
L’auteur du livre, tout comme son préfacier sont des inspecteurs généraux de l’éducation et de la formation, et à ce titre, ils sont des acteurs avisés qui maîtrisent suffisamment la bien délicate architecture pyramidale du système éducatif sénégalais qui fait la structure, sur laquelle repose son échafaudage.
C’est ce titre que le Professeur LAT SOUKABE MBOW souligne l’importance du livre, en pointant du doigt les risques « de transposer, tels quels l’esprit et la démarche de la géographie universitaire à l’échelle des lycées et collèges. De même, on ne saurait, sous peine d’une perte irrémédiable de crédibilité, se satisfaire d’une pérennisation de modes de transmission qui se distinguent par leur caractère anachronique » p.13.
Enseigner ce qu’il doit l’être, et au cycle qu’il faut et par les méthodes appropriées et surtout avec les savoirs du temps des apprenants, voilà un apport décisif du livre du Professeur CAMARA qui relance l’opportunité de ce débat, au moment où le système éducatif sénégalais se réévalue, tout en tenant compte du temps local et universel de son développement.
En parcourant le livre du Professeur CAMARA, son lecteur est d’emblée subjugué par la dialectique qui lie l’universel d’un local sénégalais à la marche ininterrompue et progressive du temps.
Bien des parties constitutives du livre restituent le parcours d’une philosophie de l’éducation de la géographie au Sénégal, rendue dans son histoire, circonscrite entre localité et universalité.
Citons quelques têtes de chapitres développés avec élégance et circonspection par l’auteur :« Entre nationalisme et universalisme (ou enracinement versus ouverture pp.30-36 ; identité territoriale et citoyenneté plurielle » pp.41.57.
Professeur CAMARA explique et développe au moyen de sa discipline, comment se construit une citoyenneté universelle dans notre contexte actuel, dominé par une béante déchirure entre repli identitaire et universalisme, à l’ époque d’un universalisme qui interroge peu ou presque pas le bien-fondé de sa multipolarité.
Professeur CAMARA déconstruit un universalisme monopolaire du type qui domine l’actuel monde des savoirs, et ce faisant se trouve dans un débat de haute portée, car il donne à la géographie son importance philosophique dans la refondation décoloniale des sciences de l‘éducation et de la formation. S’il parle au monde scolaire, CAMARA, dans un sillage kantien : ( un des fondateurs de la géographie physique), met l’accent sur la scientificité d’une discipline qui nourrit la philosophie critique.
Son livre change radicalement le visage de l’enseignement de la géographie : en faisant d’elle ce qu’elle doit être : la matrice de l’histoire des hommes et de leur environnement.
Le temps de l’histoire dont parle cet ouvrage de très grande qualité d’écriture et de synthétisation est le temps de l’histoire du Sénégal de la domination coloniale à l’accession à l’indépendante : la séquence de l’accession à la souveraineté est celle de la difficile construction d’un enseignement de la géographie qui fait du Sénégalais de nos lycées et collèges le citoyen de son pays et de son temps.
Compendium des grandes théories pédagogiques sur le curriculum officiel ou caché, des méthodes d’enseignement de la géographie, des courants institutionnels des manuels scolaires, de didactique, des lois d’orientation de l’éducation nationale depuis l’indépendance des programmes d’enseignement officiel dans le texte, tout cela documenté par des annexes pp.265-285 ; le livre se termine par cet épilogue intitulé : L’écriture d’un récit épique comme support de l’enseignement de la vallée du Sénégal : cette partie du pays, à partir d’où se sont construites les rencontres d’échanges qui ont fait le condensé de la richesse migratoire, ethnique, politique, historique et économique du Sahel islamique.
Professeur CAMARA est en passeur et perceur de frontières des savoirs : au propre comme au figuré. En effet, qui n’a pas pensé que le récit épique fait partie intégrante de la littérature ? Pourtant c’est en prenant les récits épiques de Gelaay Aali Fall, récits épiques des pêcheurs de la vallée » riches en significations géographiques, que le Professeur CAMARA restitue la toponymie des lieux évoqués.
CAMARA est passeur et perceur de frontières, en prenant exemple sur « l’orature » qui fait l’importance de la mémoire pour l’écriture, il discute aux littéraires des cultures orales une épistémè en vogue. Il renvoie à une publication qui a fait date dans les réflexions innovantes de la philosophie au Sénégal , celle de de son ainé et collègue Mamoussé Diagne : Critique de la raison orale.
S’il est géographe, le Professeur CAMARA l’est dans un espace de discussions philosophiques : sa discipline : la géographie, lui sert de champ d’expérimentation et d’application de concepts de la philosophe d’éducation. Sa référence aux récits épiques de la vallée restructure une modernité de l’esthétique hégélienne, celle de la temporalité du beau et du vrai et celle schillérienne : Hegel parle de (ruhig) tranquille, et Schiller de sans hâte. (nicht ungeduldig ).
Le Professeur CAMARA met au service de ses collègues de discipline, des formateurs de formateurs, des services de l’éducation et de la formation un outil indispensable pour la réflexion et l’action dans l’enseignement de la géographie (plus de 298 pages avec une bibliographe d’une centaine d’ouvrages).
Son livre se distingue par une belle écriture, rappelant la réplique de Foucault à un journaliste :
Monsieur Foucault : « Vous écrivez bien « ; la réponse, « je pense bien ». Tel est le cas ce livre que nous recommandons au monde universitaire et politique.
𝐏𝐫𝐨𝐟 𝐈𝐛𝐫𝐚𝐡𝐢𝐦𝐚 𝐃𝐢𝐨𝐩
𝐃𝐨𝐲𝐞𝐧 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐅𝐀𝐒𝐓𝐄𝐅 𝟐𝟎𝟎𝟗-𝟐𝟎𝟏𝟓