Avec J’emporterai le feu, Leïla Slimani clôt sa trilogie entamée avec Le Pays des autres et poursuivie avec Regardez-nous danser. Ce dernier opus s’impose comme une fresque littéraire d’une rare intensité, explorant la mémoire, l’identité et la quête de liberté sur plusieurs générations. Riche en symboles et portée par une écriture vibrante, cette œuvre s’affirme comme l’une des créations majeures de la littérature contemporaine. 

Le titre J’emporterai le feu résonne comme une promesse, une déclaration intime et universelle. Ce feu, tour à tour métaphore de l’héritage, de la création ou de la passion, incarne ce que l’on garde en soi, malgré les pertes et les départs. « Qu’emporte-t-on avec soi lorsqu’on quitte un lieu ou une personne aimée ? » semble demander Slimani. La réponse n’est ni matérielle ni tangible, mais réside dans cette énergie intérieure, cette force indomptable qui survit aux séparations et aux deuils. Ce feu est aussi celui de l’écriture et de la poésie, qui, à travers les générations, deviennent des vecteurs de mémoire et de transformation. 

Une troisième génération en quête de soi
Dans ce dernier volet, Slimani met en lumière Mia et Inès, enfants de la troisième génération de la famille Belhaj, nées dans les années 1980. Elles évoluent dans un Maroc en pleine mutation, héritières des luttes et des sacrifices de leurs aînés. Si Mathilde, leur grand-mère, représentait la figure de l’exil volontaire et de l’adaptation, et si Aïcha, leur mère, incarnait la quête de reconnaissance et d’indépendance, Mia et Inès se confrontent à des défis nouveaux : le racisme, les préjugés, mais aussi la solitude et la recherche de liberté dans un monde globalisé. 

Ces deux protagonistes cherchent à écrire leur propre histoire, à se forger une place dans un univers où les attentes sociales et familiales pèsent lourd. Leurs trajectoires illustrent un dilemme universel : comment rester fidèle à ses origines tout en se réinventant ? 

Le poids de l’héritage : entre rupture et continuité
Slimani excelle à montrer comment l’héritage familial, bien que souvent invisible, façonne les choix et les destins. À travers les liens qui unissent les générations Belhaj, elle interroge le rôle des souvenirs, des blessures et des victoires collectives. Mia et Inès portent en elles l’histoire de leurs ancêtres, mais elles choisissent de s’en émanciper, de réinterpréter ce feu transmis, parfois à leur insu. 
Le roman explore également les fractures sociales et culturelles du Maroc, où les luttes féminines se heurtent encore à des traditions patriarcales. Slimani montre avec finesse comment ces tensions se répercutent dans la sphère intime, façonnant les choix amoureux, professionnels et existentiels de ses personnages. 

 
Le style de Leïla Slimani, à la fois sobre et poétique, confère à ce roman une profondeur unique. Chaque phrase semble empreinte d’un souffle, d’une vitalité qui transcende les époques et les lieux. Les descriptions, riches et sensibles, transportent le lecteur dans un Maroc à la fois tangible et mythique, où les paysages deviennent des miroirs de l’âme des personnages. 

Slimani parvient à capter l’intime sans jamais sacrifier le collectif. Les drames personnels s’entrelacent avec les bouleversements politiques, dessinant une fresque complexe et nuancée. Le Maroc des années 1980 devient un personnage à part entière, avec ses contradictions, ses espoirs et ses injustices. 

Une trilogie ambitieuse et universelle
Avec J’emporterai le feu, Leïla Slimani conclut une trilogie qui dépasse largement le cadre familial pour devenir une méditation sur l’identité, la transmission et la liberté. Les trois volumes explorent les luttes féminines à travers les âges, les impacts des migrations et des exils, mais aussi la force des liens familiaux face aux défis du monde moderne. 

Ce dernier tome, tout en répondant aux questions laissées en suspens, ouvre de nouvelles pistes de réflexion. Que signifie être libre ? Comment trouver sa place dans un monde en perpétuel changement ? Et surtout, comment préserver ce feu intérieur qui nous anime ? 


J’emporterai le feu est bien plus qu’une conclusion : c’est une célébration de la résilience et de la création. Par sa capacité à mêler l’intime et l’universel, Leïla Slimani offre une œuvre qui parlera à toutes les générations. Ce roman, à la fois ancré dans une histoire familiale et ouvert sur le monde, s’impose comme une leçon d’humanité. 
En refermant ce livre, le lecteur ne peut s’empêcher de sentir ce feu en lui, ce feu qui est à la fois mémoire, héritage et promesse d’un avenir à écrire. Une lecture incontournable pour quiconque cherche des histoires qui éclairent autant qu’elles réchauffent.