La littérature négro-africaine écrite a commencé avec le début du 20ème siècle. Elle est intimement liée à l’histoire du continent. L’art, ici, retrouve une de ses dimensions naturelles qui est le reflet des aspirations des peuples à savoir : la liberté, la dignité, l’indépendance, le respect et surtout un nouveau regard de l’occident dépouillé de tout préjugé et de condescendance .
1-1- La prise de conscience :
**1920 : Naissance de la littérature africaine francophone avec le roman Les Trois Volontés de Malic, œuvre d’Amadou Mapaté Diagne, instituteur sénégalais. Il développe des questions relatives aux castes et à la modernisation des structures traditionnelles.
Cette œuvre romanesque exalte également la « mission civilisation de la colonisation» et fait l’éloge de l’assimilation.
**1921 : René Maran, écrivain guyanais et fonctionnaire de l’administration coloniale en Oubangui-Chari, publie Batouala, véritable roman nègre, aux éditions Albin Michel.
Ce roman est retenu comme la première œuvre négro-africaine. Il s’inscrit dans une tradition d’affirmation et de réhabilitation des civilisations noires qui remontent au 19ème siècle.
**1920 et 1930 en France : Paris, le lieu de rencontre d’étudiants africains et antillais porteurs d’une autre manière de penser, confortée par une série de phénomènes qui témoignent du regain d’intérêt de l’Occident pour le monde noir : la découverte de l’art nègre par les peintres cubistes, le triomphe du rythme afro-américain, le jazz en Europe, les témoignages des ethnologues européens, Maurice Delafosse, Léo Frobenius, Théodore Monod sur le mode de vie noir.
1-2- The Negro-Renaissance : De Harlem au Quartier Latin (1900-1925)
C’est d’abord l’Amérique noire qui affirme à la face du monde l’éminente dignité des civilisations noires.
William Edward Burghardt Du Bois écrit en 1890 : « Je suis nègre, et je me glorifie de ce nom ; je suis fier du sang noir qui coule dans mes veines ».
Des écrivains noirs américains tels que Langston Hugues, Claude Mac Kay, Countee Cullen, Sterling Brown, Jean Toomer etc. se reconnaissent dans cette déclaration. Ils créent en 1918 le mouvement littéraire « Négro-Renaissance ». À leurs compatriotes tentés par « l’assimilation » ou « l’intégration » dans une Amérique acquise aux préjugés de couleur, ils parlent de la « personnalité noire » à préserver à tout prix.
**1903 : Publication aux U.S.A de The Soul of Black People, c’est-à-dire, Âmes noires de W.E.B. Du Bois ; ouvrage de témoignage et de réflexion sur les problèmes des Noirs en Amérique. Il préconise d’effacer l’image stéréotypée du Nègre sous-homme.
**1909 : W.E.B. Du Bois crée la N.A.AC.P. (Association Nationale pour la Promotion des Gens de Couleur) en vue de militer pour la réhabilitation des valeurs culturelles des Noires et pour la revendication d’une autre place plus juste dans la société américaine.
**Paris (1910) et Manchester (1945) : De grands congrès panafricains initiés par W.E.B. Du Bois en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, une idée qui fera son chemin au lendemain de la seconde guerre mondiale.
En conclusion, selon Lilian Kesteloot, W.E.B. Du Bois influença profondément Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et leurs compagnons par l’intermédiaire du mouvement de la négro-renaissance, d’où la création du mouvement de la négritude.
1-3/ Le mouvement de la Négritude :
1-3/ Le mouvement de la Négritude
1- Les mouvements culturels antérieurs :
À ces précurseurs américains, s’ajoutent plusieurs revues fondées par les étudiants et intellectuels noirs en France dont le but affirmé est d’élaborer une vision de l’art et de la littérature propre « aux hommes de couleurs ».
**La Dépêche Africaine (1928) : créée par le Guadeloupéen Maurice Satineau, s’illustre par un grand élan de promotion en faveur de la littérature nègre. Le romancier togolais Félix Couchoro, l’un des premiers écrivains noirs, en sera l’un des bénéficiaires.
**La Revue du Monde Noir (1931) : créée par le docteur Haïtien Léo Sajous, parue du 20 novembre 1931 au 20 avril 1932. Elle fut la première tribune pour les Noirs du monde entier pour débattre de leurs problèmes spécifiques. Elle affirmait l’originalité de la personnalité noire. Cette revue est jugée trop conciliante.
**La Revue Légitime Défense (1932) : fondée par Etienne Léro en 1932, la Revue ‘’Légitime Défense’’ refuse toute idée de compromis avec « la culture latine ».
Les signataires de cette revue sont des jeunes Antillais radicalisés qui rejettent les modèles littéraires traditionnels (l’esthétique parnassienne ou symboliste) :
« Ceux qui n’étaient résolus ni à s’engager dans le mouvement de la vie, ni à vivre en plein rêve».
Ils proclament leur adhésion sans réserve au marxisme, au surréalisme et à la psychanalyse. La revue sera interdite dès le premier numéro.
Selon Etienne Léro, son fondateur, l’écrivain noir « libéré de son aliénation » peut créer des œuvres authentiques exprimant « l’amour africain de la vie, la joie africaine de l’amour, le rêve africain de la mort ».
Cette revue est jugée trop radicale et interdite.
**L’Étudiant Noir (1934-1940) : Plus modérée, le principal animateur de ce petit périodique corporatif est Aimé Césaire, entouré de L. S. Senghor, L.G. Damas, Léonard Sainville, Birago Diop et Ousmane Socé. Ils veulent « rattacher les Noirs à leur histoire, leur tradition et leurs langues. »
Malgré sa modération, le refus césairien de l’assimilation est catégorique :
« La jeunesse noire veut agir et créer. Elle veut avoir ses poètes, ses romanciers, qui lui diront à elle ses malheurs à elle et ses grandeurs à elle ; elle veut contribuer à la vie universelle (…) et pour cela (…) il faut se conserver ou se retrouver : c’est le piment de soi. »
Senghor, lui, réclame la fin des « singes littéraires ». Il prône l’humanisme nègre, un cadre nouveau à la création et à l’action, valable pour le monde noir en général. Celui-ci doit avoir « l’homme noir comme but, la raison occidentale et l’âme nègre comme instruments de recherche. »
Tels sont les éléments constitutifs de la Négritude, concept philosophique et mouvement littéraire.
1-3-2- /Les composantes essentielles de la négritude
La négritude, avant de devenir le grand mouvement littéraire de l’après-guerre, s’est nourrie de tous les mouvements culturels antérieurs.
Le mot « négritude » apparaît pour la première fois dans le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire publié en 1939, dans la revue Volontés. Césaire en propose une définition :
« La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture. »
Senghor définit la négritude comme une manière spécifique d’ « assumer les valeurs de civilisation du monde noir, (de) les actualiser et de féconder, au besoin avec les apports étrangers ».
Le poète sénégalais met l’accent sur l’étude du passé africain et des ‘’sources’’ afin de les valoriser ; la négritude est chez lui humanisme, voie de passage vers l’universel : elle est, d’abord, enracinement dans la culture africaine, et « ouverture aux apports fécondants des autres civilisations ».
Pour Damas, la négritude, c’est le fait de défendre sa qualité de Nègre ; c’est-à-dire, « rattacher les Noirs à leur histoire, leurs traditions et leurs langues. »
Cette prise de conscience devient un acte poétique dans la mesure où, à travers la poésie, des Nègres osent proclamer le droit à l’existence autonome. La poésie assure la solidarité historique du poète avec son peuple. On comprend donc que la poésie de la Négritude ait pris comme thèmes favoris la fierté d’appartenir à la civilisation africaine et la dénonciation de tout ce qui vient contrecarrer cette communion : l’esclavage et l’oppression coloniale.