«Qui du suprême agent serait vraiment l’oracle/Ne ferait pas un vers qu’il ne fit un miracle»
Louis-Claude de Saint-Martin

         Au carrefour d’un Verbe qui s’organise entre offrande et triomphe, entre libations et exaucements, s’établit une poésie dont les pérégrinations circulent entre l’ascension et la chute, et qui par-là tente de panser/penser les limites pénitentes de la condition humaine.
Le Verbe, le Vers, commence alors à s’établir comme transposition d’un état profane à celui du sacré, d’un état d’ignorance à une gnose complète. Le poème initial constitue alors le rite initiatique à l’épiphanie. Entre dissection des maux du quotidien, espérance de la libération de l’humanité, le poète entreprend un rite initiatique à la faveur d’une connaissance totale des pouvoirs du Verbe et de son histoire, à la faveur d’une Culture (au sens où l’entendait Senghor) littéraire étroitement liée au fonctionnement et à l’évolution de la poésie. Enthousiaste de ce que le Verbe, «le temps d’un vers», l’instant du souffle initial, peut apporter de cognitif, Michel fait vœu de poésie devant l’autel des Maitres, faisant du poème espace capital et laboratoire de manifestations des potentiels sémantiques et axiologiques du Verbe. Le Verbe devient alors la sève nourricière de l’âme, comme au Commencement il avait dissous les Ténèbres et l’existence par la Lumière. Il devient également élément de synthèse sémantique entre le sens ontologique et épais du silence, et celui sacré de la parole. Le Verbe se substitue, sinon accompagne les grandes liqueurs salvatrices de l’Histoire; et plus que sa libération, permet l’accomplissement de l’Homme. Le temps d’un vers: l’instant du rite initiatique, l’instant du souffle initial, l’instant de l’ouverture delphique de soi au monde et du monde à soi.


A partir de là, il est naturellement admis que «les âmes hôtes d[u] silence» sont les seules capables d’appréhender l’entièreté épistémique de la parole. Au fil donc de l’initiation, Michel demande non plus à être poète, ce qui pourtant symboliserait la consécration de l’initiation; mais à devenir l’incarnation du poème, l’écho-sonore du silence: «fais-moi chant rythme et parole». Par le tremplin alors du poème, le Verbe se fait de nouveau chair et salvateur. Mais cette situation salvatrice prend d’abord un élan linguistique. Le poète consomme le dérèglement initial du langage et, quasiment dans le même mouvement, articule le poème pour guérir ou tout au plus canaliser les morceaux épars de la dépression de Babel. Par cet acte synthétique et inédit, il devient lui-même théogonique, ascendant, et géniteur du Verbe cognitif et essentiel, d’une Parole Totale, comme celle des origines. Le temps de l’écriture, la rédaction du poème, devient le moteur du retour ontologique et en filigrane, à soi-même, -«soi-même comme un autre» dirait Ricoeur-, dans pureté originelle: «homo quasi deus».
Le poème s’organise alors en fil d’Ariane, de sorte que l’émoi du poète se consacre sous le sceau sanctifié de la Terre première, celle de l’Ancienne Egypte, et du souffle spirituel qui y est inhérent, ne serait-ce que par sa nomination. Ce syncrétisme peut se lire également dans «Ce monde» où porteur de foi par le Verbe, le poète dit la déréliction du monde par le matière. Également dans «Mucad est repart» où il fait l’apologie du métissage et de la différence, l’apologie de l’Humanisme dans son sens le plus intégral: celui de la dignité de l’Homme.
Mais syncrétisme qui se mue en sacrement dès que le Verbe dit la prière du monde et en donne les offices. A peine a-t-on terminé la lecture de «Maitre de la lyre» qu’on aurait envie, en chœur, de dire Amen !


Sacrement qui ouvre alors le Grand-Tout au poète, cette demeure de l’infini qui rappelle les clefs du royaume des cieux. Mais ce qu’il omet habillement de dire c’est que sa demeure, c’est le poème. Le poète habite intégralement le poème et déroge ainsi à la restriction de l’espace-temps pour se mouvoir dans l’éternité du Mot, dans l’infini du sens, dans l’infini éternel du Verbe. Cette poésie liturgique fonctionne comme un ouvroir vers la consécration de l’humaine condition. L’espoir actif que l’homme retrouvera, devra retrouver sa condition de reflet divin, sa plénitude. Poésie de l’espoir où le poète se situe entre la sèche réalité du vide existentiel et ses conséquences meurtrières, et l’onctueuse vertu soufflée sur le cœur des hommes par les patriarches. Poésie de l’espoir où le désormais rêveur sacré s’active à la réhabilitation de la Bonne-Parole, partout, pour tous, ayant déjà «emprunté tous les chemins de rêve», c’est-à-dire tous les sentiers vers Damas. Cet acte rejoint, entre syncrétisme et sacrement, la mise en poème de «Je pars», où le poète amorce la résurrection de la mémoire historique africaine pour mieux jeter les bases d’un humanisme où la richesse se trouve à la fois dans le même et l’autre, une sorte de Civilisation de l’Universel.


Mais d’un coup, à partir de «Te créer», le recueil bascule et montre la véritable motivation des prières du début, l’envers du décor, le caractère immonde du monde, la boue. Avec le verbe cru qui y sied, le poète décrit point par point les turpitudes du quotidien de tous les horizons, allant des maux de tous les jours au mal le plus incisif, le désespoir total.


Arrivé à «Quatre visages», l’espoir reprend et prend la forme d’un résultat, celui d’une lutte acharnée, au quotidien. Lutte qui permet d’exister et d’habiter pleinement le monde, lutte qui est quotient d’identité.
Puis le poète se ré-concilie avec la vie, par la femme. Que serait le monde sans le poème ? Que serait le poète sans la femme ? Il s’organise alors une résurrection de l’Eden sous les auspices du féminin sacré qui redonne à la vie son cadre premier de jouissance totale, d’innocence pure, de bonheur continu: «je m’accroche, dit-il, aux balises de tes déhanchements jusqu’aux portes de la béatitude», jusqu’au centre de l’extase, jusqu’avant la rupture, la solitude. Et-là, le poète vit maintenant de souvenirs, languit, emplit le Vide par le Verbe; puis Vit, depuis toujours, comme la Lumière, sa consœur.
La poésie de Michel Mendy est une exposition médiane. Elle a une valeur transitoire qui va du sacrement, où le Verbe s’octroie une constitution cantique, une sanctification des symboles d’éternité, un «chant éternel sanctifiant l’étreinte du Soleil avec la Lune»; au sacre, à la consécration du poète comme lui-même transition du divin à l’humain et vice versa, qui désormais dira les mots et les choses pour rendre la vie plus habitable. Le domaine de Michel prend alors sa source «en deçà du lieu d’apparition des phénomènes. Entre les idées et les faits, le poète établit par sa parole un courant d’échange».


Blessures du Soleil dit l’être au monde. C’est l’histoire de l’angoisse de l’existence et des espoirs qui illuminent le monde. C’est l’angoissante aspiration adamique de retrouver le monde pleinement de l’Eden d’hier, mais d’organiser cette plénitude à partir d’ici.

Mouhamed Sow B.
Dakar, Février 2024