J’observe le développement du slam sénégalais depuis dix ans. Je peux au moins affirmer, sans risque de me tromper, qu’il n’existe pas une structure qui rassemble tous les slameurs de manière transparente et inclusive.

Nous savons tous ce qui ne va pas, mais en commençant par moi, nous sommes nombreux à en parler de manière informelle, en coup de vent. On râle et on avance. Car nous pensons que ce n’est pas la peine d’affronter ceux qui règnent en chefs de cartels sur notre art. Et nous avons d’autres options à disposition. Donc, avant de jeter l’anathème sur qui que ce soit, j’ai failli.
Nous ne pouvons pas continuer à laisser faire juste parce que nous avons d’autres choix. Et ceux qui n’en ont pas ? On les abandonne ?

Aujourd’hui, je prends la parole pour deux raisons : je n’ai rien à perdre et je n’ai pas d’attentes. Je suis devenu ce que je suis sans la Ligue sénégalaise de Slam. Et nous avons la responsabilité de veiller à ce que les générations qui arrivent trouvent un environnement viable pour l’épanouissement de leur art.

Nous avons récemment vu la belle finale du Slam School Tour. Ces jeunes talents méritent au moins de trouver un cadre inclusif pour les représenter où qu’ils soient dans le pays, et un circuit stimulant pour leur permettre d’apprendre et d’avoir accès à des opportunités.

En 2019, je pars en compétition pour le championnat national de slam organisé par la Ligue sénégalaise de Slam. À Dakar, pour le niveau régional, les membres du jury censés nous évaluer et nous noter faisaient des fautes de français à chaque phrase prononcée, et même en wolof c’était la catastrophe. Soyons clairs, il ne s’agissait pas de lapsus. Je vous épargne les détails de l’organisation, qui relevait du tâtonnement. Je prends la parole pour dénoncer ces aspects. Sans suite. Je n’étais qu’un mauvais perdant. Ce qui est drôle dans l’histoire, c’est qu’ils étaient là, les slameurs, nombreux à avoir reconnu ces failles, mais en privé. Personne ne voulait jouer le mauvais rôle ou s’attirer des ennemis.

Pour les années qui ont suivi, sans chercher à dévaloriser le mérite et le sérieux des vainqueurs, il faut dire que sur chaque édition, on a compté énormément de contestations de la part des participants. Voulez-vous me dire que tous ces candidats sont des tricheurs et de mauvais perdants, tous jaloux des sacres des autres ?

Aujourd’hui, à Saint-Louis, nous avons de quoi allonger les chefs d’accusation. Cette ligue, trop accablée et constante dans la bêtise, choisit un candidat pour la ville sans organiser de présélection. Trouveraient-ils un meilleur moyen de manquer de respect à tous les talents de cette ville ?

Cette Ligue Sénégalaise de Slam de Poésie, disons-le tout haut, n’a jamais représenté le slam sénégalais de manière inclusive. Une affaire de « sama booy la » et de membres d’un cercle fermé qui se reconnaissent entre eux. Même les élections pour élire le bureau ne sont pas communiquées largement. On se réveille et l’information nous tombe dessus. Et depuis des années, tout le monde laisse faire, car encore une fois, pas la peine de se faire des ennemis, de jouer le mauvais rôle.

Je fais du slam par passion et amour, et vos marchés et trophées ne m’intéressent pas. Donc je me sens bien placé pour vous demander de vous ressaisir, sans gants. Tout ce que je dis ici, c’est surtout pour les générations à venir, encore une fois. Ces jeunes nous regardent et doivent trouver un environnement sain pour continuer à faire évoluer les choses positivement.

Nous n’avons pas envie d’avoir un champion régional ou national qui, malgré son mérite, se retrouve à baisser la tête, car sa victoire est estampillée par une institution illégitime aux yeux de la majorité de ceux qui se disent slameurs. Nous n’avons plus envie d’avoir l’impression de faire face à des despotes qui ne veulent pas lâcher leurs petits privilèges.

On fait quoi alors :

📌 Confier la ligue de slam à des slameurs ou des personnes qui veulent sincèrement servir le slam sénégalais à travers un processus inclusif et transparent incluant toutes les régions.
📌 Organiser les assises du slam pour assainir la scène, professionnaliser davantage le circuit, proposer un cadre d’épanouissement à chaque slameur pour la formation et l’accès à des opportunités.
📌 Créer un Conseil des sages composé des aînés du slam qui étaient là depuis le début et qui auront la responsabilité de dire des vérités sur la gestion de l’institution.
📌 Organiser des activités qui vont au delà de l’organisation d’un concours de slam. Panels, spectacles, festivals etc.

Voilà mon humble regard sur la question et nous n’allons plus fermer les yeux par devoir de transmission et de redevabilité.

Patherson, poète slameur sénégalais