
Mamadou Samb a encore frappé fort, comme un serial killer, qui revient toujours sur les lieux du crime. Il y est revenu avec les mêmes armes et le talent qu’on lui connaît… qui font le succès de ses romans … On se demande par moment si c’est juste un talent par l’art de la description, la richesse lexicale, sa faculté à captiver toute l’attention et de nous entraîner dans le sillage de son récit en nous faisant vivre à temps réel les situations décrites, et là on peut s’interroger s’il ne s’agit pas véritablement d’un envoûtement par cette plume magique ? Il arrive à aborder tous les aspects d’une question avec une érudition et un sens de l’intrigue incroyables ce qui donne un caractère pluridisciplinaire avec toujours cette faculté, cet art de nous tirer par le bout du nez…
Dans ce roman, il est question à la base d’une relation amoureuse entre un professeur français Alex et Lissa, son étudiante sénégalaise… Un voyage passionnant…véritablement qui nous amène à explorer toutes les dimensions culturelles, religieuses, sociales et humaines de tout ce qui peut faire obstacle à un mariage mixte … Et on en a pour son argent tellement les rebondissements, les intrigues, mais aussi les enseignements …font légion et nous éclairent sur chacune de ses dimensions.
Poussine, issue de ce couple d’amoureux passionnés dont le choix du nom est entre reconnaissance éternelle et hommage… un choix judicieux fait dans l’amour et un esprit d’union…
Alex “ En bon père attentif au bien-être de sa fille , il ne lésina sur rien et utilisa tous les moyens possibles…” . Tout comme dans ses projets immobiliers et hôteliers, il a tout fait pour faire de l’épanouissement de sa fille la pierre angulaire de sa vie et créer des endroits inclusifs dans lesquels sa fille porteuse de handicap s’y déplacerait dans une parfaite autonomie avec aisance…Un modèle de père qui a donné protection et un amour inconditionnel en plus d’être un mari avenant et exemplaire pour Lissa et un frère exceptionnel pour Lucienne.
Poussine qui avait l’air déprimée, comme si elle voulait décrocher de la vie causant ainsi à ses parents et notamment à son père qui n’a lésiné sur aucun moyen et Dieu lui en avait pourvu de bien considérables. Il a fait appel à tous les spécialistes qui se sont trouvés démunis face à l’attitude de la jeune fille. Et il aura fallu une rencontre, celle de Seyni pour faire redémarrer la machine.
Seyni, fils d’un serveur employé dans l’hôtel de Alex, cet invité dont tout le monde attendait se considérait comme “l’invité inaccoutumé de cette cérémonie”, devant “ … des parents qui venaient retirer leurs enfants et qui puaient l’élégance et l’opulence par leur habillement et leurs manières…”
La spontanéité juvénile, l’insouciance… la situation de handicap. La surprise ou le choc d’une découverte… suivi du sentiment de honte, de compassion et de culpabilité….
Un amour subite, profond et même visceral… un véritable coup de foudre… ” la fusion de nos essences”. “Poussine qui se privait de manger et qui s’enfermait dans ses retranchements, retrouva le sourire, l’appétit et la joie de vivre “
Un tel père ne pouvait être insensible à un phénomène de cette ampleur, le bonheur de sa fille comptait plus que tout au monde.
Émouvant l’étape du dîner des enfants (Alex et sa sœur Lucienne avec leur papa ,qui a fini par avouer sa maladie de Parkinson….
Poignant également la rencontre de Lissa et de sa mère Anta « la dernière personne qu’elle avait vue en quittant chez elle et aujourd’hui, c’est elle qu’elle revoit en revenant dans cette maison qui l’a vue naître et grandir ». Et cela avant de retrouver dans sa chambre un père très malade qui avait exprimé le souhait de revoir sa fille dans son lit de mort. Malgré son état de dégénérescence physique, il avait gardé une grande vivacité d’esprit, mais aussi sa foi, un homme qui jusqu’à ses derniers moments est resté ferme dans ses convictions et surtout cohérent dans ses décisions…
Anta la mère de Lissa, femme distinguée et raffinée qui, est restée fidèle à son mari, à ses choix, partageant les mêmes convictions avec cet amour inconditionnel et un dévouement hors norme envers sa famille. Tout ce que Lissa reconnaîtra malgré tout…
Bouleversant aussi les retrouvailles de Anta et sa petite fille Poussine… , tout comme l’annonce du décès de Anta grand-mère adorée de Poussine…
Les échanges entre Lissa et Lucienne, dans leur domicile à Nice, qui après les premiers moments de réticences du reste légitimes et compréhensibles se retrouvent dans une affection profonde , réciproque et surtout sincère… Dans des échanges profonds avec par moments une dimension philosophique de haute intensité intellectuelle. Les cœurs ont parlé sans jamais se départir de la raison…
Bouleversant le diagnostic de la paraparésie, cette maladie dont les causes sont restées mystérieuses, qui va l’empêcher de marcher est un moment fort et extrêmement émouvant pour les parents qui vont encaisser le coup du sort et continuer à vivre pour leur fille avec toute l’affection et l’amour du monde.
La question du handicap a été traitée de manière objective en insistant surtout sur le fait que malgré la souffrance de la différence, l’environnement s’est adapté aux besoins et aux évolutions de Poussine qui « … se projetait dans l’avenir et manifestait un certain bonheur en sentant l’amour de ses parents qui l’aidaient à s’accepter et à se sentir acceptée et aimée… » une condition sine qua none pour elle de prendre « … conscience de plus en plus qu’elle avait sa place dans la société ».
Une histoire de déchirement profond, des moments de tristesse, puis de bonheur, et d’amour, de la vie dans un couple mixte avec tout ce que cela implique … le tout dans l’espace et le temps. C’est véritablement le triomphe de l’amour!
Ps: Merci à Mamadou Samb de m’avoir permis d’accéder à ce roman depuis le mois du ramadan dernier. Ce roman édité au Québec par les soins des éditions AFROQUEBEC a bien une saveur particulière et c’est sans doute le bonus de ce roman que je recommande vivement.
Moussa Bèye
Montréal le 07 août 2025
