Jaajef Cul Yànde ! Je t’ai salué en wolof, cette langue que tu aimais tellement parler et écrire, si correctement …

Ma lettre sera longue, ou pas. Viatique ou compte-rendu, je sacrifie à la tradition. Nous nous étions assujettis, toi et moi, à un rituel bien rodé. Chaque soir, même si on venait de partager la journée, on se mettait sur câble pour revenir, chacun, sur ses actions et ressentiments du jour. Nos échanges étaient longs, très longs … Tu n’aimais pas rompre le plaisir de la conversation qui, souvent, versait dans la confidence. De mon côté, il était difficile d’interrompre la causerie, moins par un respect formel, que par souci de ne pas rater, outre les précieuses confidences, la dernière acquisition, dans le cadre de ma quête de connaissances et d’expérience. Aux Vendredis du Livre, je disais aux jeunes, en parlant de toi : « C’est un baobab géant, gorgé de connaissances et de générosité. Mais pour bénéficier de ses fruits, il faut le secouer. » Personnellement, je savais secouer le baobab.
Tu es maintenant à Touba, enterré, dans la discrétion de l’intimité familiale, comme tu l’aurais souhaité. Fervent mouride sans chauvinisme ni exaltation inutile, tu te référais à Serigne Saliou Mbacké. Désormais, tu demeures auprès de lui.
J’écris de mon bureau, à SEGUIMA, ce lieu et ce sigle si complice. Ndongo Mbaye disait dans son émission ELITERAIRES qu’il n’y a pas plus grand promoteur de SEGUIMA que Mamadou Camara. Baytir Kâ a écrit sur Facebook « Toutes mes condoléances à SEGUIMA pour qui il a été un précieux collaborateur. » En réalité, tu as vu maître SEGUIMA et, jusqu’à l’orée de ta mort, tu l’as portée à bout de bras. Signe du destin, le dernier livre sur lequel nous avons travaillé ensemble est intitulé ‘’A l’orée de la vie’’. Il est de Docteur Ndongo Mbaye. Prémonition ? Tu m’as dit : « C’est bon comme ça. Ça lui plaira. »
Quel lieu plus symbolique que le siège de SEGUIMA pour écrire cette lettre ? Quand mon premier livre avait été repoussé par les maisons d’édition classiques, car étiqueté ‘’subversif’’, tu venais juste de me connaitre, au gré d’une rencontre fortuite. Tu m’as dit : « Ton livre, j’en ai lu que trois chapitres. Je comprends pourquoi ils ne veulent pas le publier. Cependant, il faut qu’il le soit, car il est d’une beauté rare. » Il s’agit de Anthiou. Quand il a été nominé au FILID de 2022, tu m’as dit : « Tu n’as encore rien vu. Ce livre est un puits, on y puise sans fin. » Je me rappelle que tu avais l’intention de créer ta propre maison d’édition pour que Anthiou soit publié. Tu avais même choisi le nom YAABA Editions. Cela a trainé, j’ai créé SEGUIMA. Tu m’as accompagné jusqu’à ton dernier souffle.
Quand on allait effectuer les démarches, tu t’en souviens, du registre de commerce à l’impression de Anthiou, puis de Abou, le médecin de Nioma de Ndongo Dimé, on empruntait les bus TATA et les Ndiaga Ndiaye. On se suffisait de petits sandwichs ou de cacahuètes, nous reposant parfois sur des bancs publics quand ton genou faisait des siennes … Tu me disais : « Un jour, tu oublieras tout ça. » Par respect de ta discrétion pudique, je ne dirai rien de cet aspect ni caché, ni révélé mais simplement tu, de ta personnalité. En tout cas, tout ce que tu m’as prédit, hamdulilah, je suis en train de le voir. Un jour, je suis venu te présenter une fraîche acquisition. J’ai alors vu des étoiles de joie briller dans tes yeux. Tu m’as dit : « Le meilleur reste à venir, in sha Allah. » Qu’Allah veuille !
Puis, la dernière fois que nous avons eu une conversation, la voix extrêmement faible, tu m’as dit : « Je prends des perfusions. » Comme j’étais habitué à cela, je ne me suis pas inquiété outre mesure. L’année dernière, tu as pu sortir d’un coma de près d’une semaine. Alors je t’avais prié de te reposer quand ce serait fini. Tu m’as répondu « D’accord. Baci kanam (A bientôt) » Quand je t’ai appelé le lendemain, ton fils aîné, Ibou, m’a répondu : « Paabi dafa neekk ci perfusion (Le vieux est sous perfusion.) » Puis il a coupé. J’ai voulu rappeler pour avoir des précisions. Mais je me suis ravisé, pour ne pas trop déranger. Mais mon cœur battait fort. Mes larmes commençaient à couler … « Caster ne prend plus mes appels. » Me disais-je. Quelques minutes après, j’ai reçu l’appel fatidique. Ibou Camara, très calme, très courageux m’a dit : « Sawaaji demna … Ton ami est parti… » La suite ne se conte pas…
Oh ! Patron ! Tu as choisi un jour de grâce comme la Tabaski pour partir, sans bruit, presque sur la pointe des pieds… Tu n’aimais pas déranger, ni contrarier, mais, ta perte a donné à l’EID un goût de nivaquine. Les gorges étaient nouées, les larmes abondantes.
Après, j’ai parcouru les RS, aucune annonce. Il fallait informer le monde du Livre, le tien. Mais par discipline, je ne voulais pas devancer la famille. J’ai alors posté sur Facebook : « Un homme précieux s’en est allé. Quelle perte ! Oh ! Miséricorde divine ! » J’ai ainsi pris la précaution de ne pas mentionner ton nom. Ton ami Ndongo Mbaye était de ceux qui t’ont transporté à l’hôpital. S’il n’était pas encore au courant, alors il avait compris qu’il s’agissait de toi. Son commentaire a dû préciser l’info. Il était affligé comme tu peux le deviner. J’ai voulu appeler ton grand-frère, le précieux complice. Mais je me suis dit que ce n’était pas prudent, vu qu’il est lui-même alité depuis quelques temps. Il ne fallait pas rajouter à son mal. J’avais raison. La famille ne lui avait pas encore révélé la nouvelle. Ceux qui devaient accueillir ton corps à Touba lui ont quand même annoncé la triste nouvelle. Tout de suite, me dit-il : « Madame m’a demandé si Ndour est au courant. Je lui a répondu :  ‘’Certainement’’ ». J’ai appelé Abdoulaye Fodé Ndione, déjà mis au fait de la nouvelle par le vaillant Ibou qui a aussi informé Maissa Maty Ndiaye qui, à son tour a passé l’info, notamment au Directeur du Livre, Monsieur Ibrahima Lô.
Tu m’appelais Cul (Thioul), ce surnom moqueur et amusant par lequel te désignait ton grand-frère. Tu nous le transférais, à Ndongo Mbaye, à moi et sans doute à d’autres. Quant à moi, je ne t’ai jamais appelé que par le nom ‘’Patron’’. Vous êtes deux à mériter, de ma part, cette appellation qualificative (Personne influente qui aide et soutient quelqu’un.) Qu’Allah prête longue vie au second.
Ah ! Patron ! Ton enveloppe corporelle n’est plus là, mais ton esprit demeurera à mes côtés avec SEGUIMA, orpheline autant que Abis Editions dont tu étais le Directeur littéraire. Pauline Ongono m’a promptement envoyé un message du Cameroun pour me dire : « Mes condoléances, Waly. Je sais combien tu étais attaché au patriarche.  Qu’il repose en paix ? » A la maison mortuaire où je suis resté jusque tard dans la nuit, j’ai reçu énormément d’appels dont ceux de Ndongo Dimé, de Pape Samba Badji et de Yacine Sèye encore inconsolable. Et puis, que de messages sur Wathsapp et sur Messenger, de la part d’auteurs qui t’ont connu ici, à SEGUIMA. Normal, à chaque fois qu’un auteur venait chercher son livre, tu étais au cœur du dispositif pour le cérémonial de réception. Ta bénédiction a accompagné toute notre production. Nos œuvres personnelles aussi. Je publie des chroniques depuis 2019. Pas une ne passe sans que tu ne l’aies lue et approuvée. Il m’est arrivé de marauder pour éviter ta censure. Après, j’étais aussi gêné qu’un filou pris dans le bus, sans ticket. Une fois, j’étouffais de colère après avoir lu l’article d’un grand intellectuel sénégalais très adulé par les Occidentaux. J’ai quitté le lit conjugal pour le salon. Madame m’a trouvé, penché sur ma machine. Elle s’inquiétait. Je lui ai expliqué qu’il y avait un intellectuel dangereux qui, sur le plan théorique, tient à remettre en cause tout ce vivifiant engagement qui motive les Africains dans la revendication de notre souveraineté sur tous les plans. « Au moment où nous affirmons avec force, notre identité africaine dans le cadre d’une souveraineté culturelle pour nous départir de tout complexe vis-à-vis de l’Occident, l’on cherche à nous arrimer encore à la culture occidentale érigée au rang de culture universelle. » Elle me demanda alors : « Avant de le publier, tu vas le montrer à Caster ? » Je lui ai répondu : « Non. Il ne voudra pas que je le publie. » Elle est partie. Mais son alerte m’avait assagi… Patron, tu devines déjà de laquelle de mes épouses il s’agit. C’est précisément celle à qui tu conseillais, sur un ton chahuteur, de me triturer ma barbe de ‘’Vieux bouc’’. Elle te vouait une considération exquise car elle suivait l’évolution de nos rapports, solides et francs. En me dédicaçant ton dernier livre tu mentionnais ‘’notre indéfectible amitié’’. Elle sait tout.
Vers 4h du matin, je suis revenu vers elle, très détendu. Elle m’a demandé si j’avais fini, est-ce que j’avais publié… Je lui ai répondu que j’avais envoyé à Caster, mais que même s’il n’approuvait pas, je publierais… A ce jour, ce texte que tu as bien lu, n’a pas reçu ton approbation. Oh ! Ce grand texte si fouillé avec une profondeur idéologique empreint de ‘’Cheikhantaisme’’, ne sera donc jamais publié car, Patron, tu ne l’as pas approuvé, sans doute, pour éviter la polémique … Tu me disais toujours, poursuis ton chemin. Evite la polémique. Ça t’empêche de travailler…
Il me reste à te dire que dans les réseaux sociaux, il y a une pluie de témoignages sur toi. Ils viennent de partout, parfois de provenances insoupçonnables. On rivalise d’ardeur pour témoigner. Tous ceux que tu as pu croiser physiquement ou parfois, virtuellement ont tenu à témoigner, qui de ta générosité intellectuelle, qui de tes talents de nouvelliste, de lecteur-correcteur, qui de tes marques affectueuses, qui de tes largesses, qui de tes bons conseils, qui de ta disponibilité, qui de tes beignets dugub que tu aimais distribuer pour le plaisir de donner, mais aussi pour soutenir l’entreprise de cette dame de ton quartier dont tu louais la bravoure et l’hygiène de ses produits. Le mot qui résume tous les textes sur toi est BONTÉ, ta bonté. Cela me rappelle ma publication que j’avais intitulée « Mamadou Caster Camara, un homme bon » https://www.facebook.com/share/p/1CFGewJTk2/


A suivre aussi sur YouTube
ELITERAIRES 2     Mamadou Caster Camara   
https://youtu.be/gTvzxskAC7E?si=MSIdU4tM1trXi5Pe


A la cérémonie funéraire, tous ceux qui ont compté chèrement pour toi, hommes et femmes étaient là. Dans une prochaine correspondance, j’entrerai dans les détails, in sha Allah.
Pour l’heure, repose en paix tout en sachant que le millier de graines que tu as semées dans la jeunesse germera et tapissera de verdure littéraire tout l’environnement du Baobab que tu étais, vivant. Adieu Patron !

Waly Ndour
Directeur des Editions SEGUIMA