J’ai commencé à écrire très tôt, au collège. J’ai toujours été attiré par la poésie, par les jeux de mots et les combinaisons verbales. Bref, par toutes ces petites pirouettes qu’on peut faire avec la langue et qui font du poète, sans doute, un magicien du verbe. En classe de seconde, avec un ami, on voulait coécrire un recueil de poèmes titré « L’envers du monde », sous l’influence des poètes de la négritude qu’on venait de découvrir. Malheureusement, tous ces textes qu’on rassemblait dans un cahier de cent pages, ont brûlé, un soir, quand ma chambre a pris feu. Après cela, déçu, j’ai arrêté d’écrire pendant quelque temps. Je n’ai repris la plume qu’en 2008, en classe de terminale, lorsque notre camarade et sœur Fatou Bintou Lo est décédée dans un accident de voiture. Je peux dire que c’est la mort qui m’a redonné l’inspiration et m’a réconcilié avec la poésie.
En écrivant, ma seule et unique motivation a été, et demeure toujours, de partager mes peines et angoisses, mes chants et clameurs, les bruits de mon âme ainsi que les interstices de ses silences, à travers le seul genre littéraire qui puisse faire de tout ce capharnaüm, une belle œuvre d’art : la poésie. Je ne puis vivre personnellement sans ma poésie, car aujourd’hui, s’il m’est possible d’être en paix avec moi-même et de taire mes tourments et troubles intérieurs, c’est parce que la poésie aura réussi à me réconcilier avec le sacré, avec la beauté et l’amour, avec l’ineffable et l’indécis. Telle une conseillère dont la douceur des mots nous transporte dans la plus grande tranquillité, la poésie est cette compagne qui m’apprend à mourir paisiblement, après avoir vécu intensément.
Il est vrai que l’écrivain ne peut se séparer de sa société. D’une manière ou d’une autre, les maux qu’elle traverse et les vices qui la gangrènent ont un certain écho dans ses textes. Même s’il décide d’ignorer la souffrance des siens pour ne se consacrer qu’à son art, cet acte n’est pas, en lui-même, un acte isolé, car il demeure, malgré tout, une prise de position. Ainsi que le souligne Jean-Paul Sartre : « La littérature vous jette dans la bataille; écrire c’est une certaine façon de vouloir se libérer; si vous avez commencé, de gré ou de force vous êtes engagés ».
Me concernant, j’estime que le but de notre poésie est de rendre les hommes meilleurs et plus sages, plus humains et plus humanistes. Dans une société dominée par l’injustice, la restriction des libertés, la pauvreté, l’ignorance, le désespoir et j’en passe, le poète, tel un bon soldat, doit se redresser pour défendre son peuple, manifester sa citoyenneté à travers sa plume, en prenant le parti de la vérité et de la liberté. Le poète est à l’image de Prométhée, voleur de feu, il sacrifie sa liberté pour le bonheur des hommes; il ressent, peut-être plus intensément les souffrances de tous, voilà pourquoi il ne peut se séparer de son peuple opprimé.
Notre génération d’écrivains ne doit surtout pas se dérober face à cette noble mission de l’écriture. Lorsque les jeunes deviennent pervers, les adultes irresponsables, les politiciens affabulateurs, les sages incultes, les juges malhonnêtes et les populations désœuvrées, désemparées et désespérées, la poésie doit être alors cette lumière qui nous permet de renouer avec ce que nous avons de plus cher et de plus humain, à savoir la pureté de notre cœur et la noblesse de notre âme.
J’éprouve du plaisir à chaque fois qu’un lecteur nous retourne l’amour que nous lui offrons dans nos livres. Lorsque le lecteur reçoit notre livre comme « une hache qui vient briser la mer gelée au fond de lui », nous ressentons cette connexion, ce contact avec lui comme une bénédiction. Un lecteur qui nous dit « merci », les yeux pleins d’amour, après avoir lu notre livre : c’est cela notre plus grande satisfaction, notre meilleure récompense.
S’il y a un livre avec lequel j’ai le plus d’intertextualité, c’est sans doute Le Coran : c’est ma première source d’inspiration. Comme Victor Hugo, j’ai cette conception sacrée de la poésie. Je considère, tout comme lui, que c’est « Dieu qui parle, à voix basse », dans l’âme du poète. D’une manière ou d’une autre, toute bonne poésie mène nécessairement à Dieu. A côté de cela, je m’inspire de la nature humaine, de l’éphémère, du beau, de la souffrance, de l’amour. Bref, de toute émotion intense capable de bouleverser nos cœurs et d’apaiser nos âmes.
La littérature sénégalaise est très riche, avec beaucoup de jeunes auteurs aussi talentueux les uns que les autres. Mais, le problème qui se pose est que le livre coûte cher, mais aussi, sa distribution dans l’intérieur du pays pose problème. Il n’y a pas une assez bonne politique du livre au Sénégal. C’est ce qui explique le manque de rencontres littéraires inclusives, de salons périodiques, de maisons d’éditions à compte d’éditeur, de librairies et de bibliothèques de quartier dans l’intérieur du pays. Par ailleurs, je dirais que l’un des plus grands défis de notre littérature contemporaine est d’expérimenter davantage l’écriture en langue nationale et d’encourager toutes les initiatives qui vont dans ce sens. Une petite histoire de la littérature noire permet de comprendre très vite que le rapport entre l’écrivain negro-africain et la langue française a quelquefois été très conflictuel. Le poète haïtien Léon Laleau, parlant de ce conflit, écrit sur un ton pathétique : « Sentez-vous cette souffrance et ce désespoir à nul autre égal, d’apprivoiser avec des mots de France ce cœur qui m’est venu du Sénégal ? » J’ignore si je publierai un jour en wolof, mais je sais que je contribuerai à toutes les actions allant dans le sens de promouvoir cette littérature nationale.