
Zacharia Sall est un poète sénégalais qui vit en France depuis quelques années. Il a publié plus de quatre recueils poétiques, et a remporté plusieurs prix littéraires, parmi lesquels le Prix Simone de Carfort de la découverte poétique, en France.
Sans fausse modestie, sachant aussi que les poètes ne sont ni humbles ni disciplinés, car seuls les faibles sont modestes, je me permets donc de dire que Zacharia est une bonne nouvelle pour la poésie sénégalaise (ceci n’est pas une extrapolation).
Son recueil de poésie, Puissances sans frontières, qui vient de paraître aux éditions l’Harmattan Sénégal, est d’une puissance exaltante, d’une force herculéenne, d’une forme d’écriture qui se veut libre et libérée des armatures classiques. On sent un poète qui renie, dépèce, défigure et se moque même de la poésie des pères. Désireux d’une authenticité singulière, il répudie ces derniers et épouse une nouvelle voie/voix qui fait écho dans sa poésie.
Je suis tenté de dire, sans tarabiscoter, qu’on est en face d’un poète débridé, dont l’insolence artistique ou la technicité refoule les codes et les tournures stylistiques.
Ce recueil poétique, scindé en trois souffles, pour ne pas dire parties, montre un poète qui nous fait bringuebaler dans un univers lugubre et somptueux où le poème se fait chagrin, solitude, douleur, tristesse, amour, mémoire, souvenir, et parfois même chaos.
Le premier souffle est celui de la solitude. Ainsi, le poète « se sent seul et si seul.» Mais cette claustration géographique, bien que lassante et chiatique, ne semble pas emmiasmer le cœur du poète, ou de le fourvoyer dans une impasse. Sall n’est pas atteint d’une impuissance créatrice ; il n’est, en effet, ni hanté par la quête identitaire de Césaire, ni par le désir suicidaire de Pizarnik, ni par la réclusion de Ibrahima Sall. Même si au fond de lui il ressent une tristesse noire ; sans doute, celle dont parlait Yourcenar, Zacharia sait d’où il vient, il n’oublie pas ses origines ; car il appelle Mamba (totem des ancêtres) et nous révèle son appartenance géographique. Par ses vers, il pense l’Afrique à travers le Congo sans oublier son Sénégal natal.
Dans cette première partie du livre donc, le poète emploie le dédoublement, il devient un transmetteur d’émotions qui imprègne le lecteur (récepteur sensoriel) dans l’expérience du voyage.
Le deuxième souffle est celui des blessures, des cicatrices. Le poème se fait ainsi chaos et douleur : « mes souffrances ont bu les cantiques des palimpsestes », écrit-il. Son cœur est blessure, cratère en furie, laves en feux, sang coulant sans interruption dans ses yeux dépiautés, robinet en courroux ouvert sur le toit du monde pour verser gouttes de larmes sur la peau du poème. Le poète ressent un vide oppressant qui l’empêche de danser la mélodie mythique des sirènes sur la tonsure des écueils. Comme disait Baudelaire « son souvenir enivrant voltige dans l’air troublé. »
L’écriture de l’exil est une expérience chez Zacharia Sall. Pourtant, loin de sa dame, de sa famille, de sa patrie natale, exposé aux vagues vivifiantes et rafraîchissantes de l’océan du monde, il s’arme de sa plume en transformant chaque parcelle de vers/versets en une expérience vécue dans la démographie du poème, et comme disait Hugo « chaque instant est un pas, et chaque pas une leçon.»
Le dernier souffle du livre montre un poète profondément amoureux. Ici, le poème se fait chant d’amour, passion, sensation et beauté. Contrairement aux deux autres parties du livre, à ce niveau, le poète semble porter la tunique romantique pour nous servir un langage lyrique, expressif et captivant. Quand l’amour échappe à la duperie, à toute pasquinade, et s’exprime de manière naturelle et sincère, il ne laisse personne indifférent. Seul un poète amoureux, semble-t-il, peut dire à sa bien-aimée « il n’y a point d’alphabet pour écrire ta beauté. » Zacharia nous fait découvrir, en outre, une autre facette de l’exil, celui passionnel ou sensuel, lorsqu’il s’adresse à l’être aimé en ces termes « quand je m’exile en temps d’exil dans tes baisers. » Embrasser ou sentir l’odeur de la femme aimée devient, pour ainsi dire, une manière de vivre l’exil. Une autre forme de patriotisme prend naissance dans l’univers poétique de Sall, le poète habite le corps de sa bien-aimée comme dans un pays, et sans aucune surprise il devient « patriote des relents » de cette dernière.
Puissances sans frontières est donc un recueil de poèmes à l’image de son titre. Un livre qu’il faut lire avec beaucoup de patience et d’intelligence.
Son auteur nous fait valser entre solitude, douleur, souffrances et amour, tout pour dire l’exil dans un langage décousu, juste et chaotique.
Dans le texte de Sall, les poèmes se font chair et os ; ils deviennent ainsi une voix intérieure qui murmure les blessures de l’exil d’un poète qui a quitté le cocon familial vers un ailleurs incertain.
Lorsque les hommes s’emmurent dans les grottes de l’immaturité, créant des frontières imaginaires et artificielles entre eux, se repoussant les uns les autres comme des ennemis séculaires, la poésie devient une puissance sans frontières, et le poète un cormoran à mille plumes qui vole au-delà des nuages pour humaniser le monde.
Fara Njaay
Poète, lauréat du Prix international de poésie Léopold Sédar Senghor.