
Je me souviens encore, je me souviendrai toujours, de cette mémorable matinée du 18 décembre 1996. C’était au théâtre national Daniel Sorano, en présence des membres du gouvernement et des membres du corps diplomatique accrédité à Dakar. Il y avait une foule d’amis, de parents et de sympathisants fraternels et solidaires. Les hommes de Lettres et artistes de toutes les disciplines étaient venus nombreux car c’était aussi leur jour. Sans être sur les lieux, le peuple suivait néanmoins l’événement avec cette ferveur qui lui est propre à travers la lucarne du petit écran ou les ondes radiophoniques. Au fil des ans il avait fini par s’approprier cette manifestation festive qui célébrait ceux qui parmi ses enfants avaient su faire preuve de génie créateur. La grande salle du théâtre national était pleine comme un œuf et l’instant empreint de solennité. Lorsque vous avez fait votre apparition sur la scène, avançant d’un pas majestueux vers le pupitre d’où vous deviez prononcer votre discours inaugural toute la salle s’est levée comme un seul homme pour applaudir à tout rompre. Puis le silence a succédé aux mélopées envoûtantes des cantatrices qui n’avaient cessé de bercer le public depuis le début de la cérémonie. Alors Monsieur le Président, votre voix de baryton s’est élevée, claire, mesurée, captivante et vous nous avez gratifiés d’une leçon d’analyse esthétique subtile et toute en nuances. Je n’oublierai jamais ce jour, qui restera gravé dans ma mémoire, où vous m’avez remis, Monsieur le Président, ces lauriers littéraires tant désirés, faisant se réaliser du même coup l’un de mes rêves les plus chers : devenir écrivain. Ce jour-là Monsieur le Président, mon bonheur était à son comble et je n’ai pu m’empêcher de verser des larmes d’émotion mais aussi de gratitude car en m’honorant de la sorte vous m’avez également permis d’entrer par la grande porte dans le panthéon de la littérature et vous avez donné le coup d’envoi d’une carrière littéraire, certes quelque peu tardive mais pleine de promesses. Ce jour-là Monsieur le Président, j’ai compris que vous n’étiez pas un grand homme seulement par la stature, mais que vous l’étiez surtout par le cœur et par l’esprit comme en témoignait cet hommage solennel que vous rendiez chaque année aux créateurs d’œuvres de beauté et à travers eux aux arts, à la poésie, à la littérature, à la culture. Monsieur le Président, en institutionnalisant le « Grand Prix du Président de la République pour les Arts et les Lettres » vous vous êtes montré le plus éclairé des mécènes et avez par là même, manifesté votre fidélité aux idéaux de votre prédécesseur et mentor, le Président-Poète, Léopold Sédar Senghor. Monsieur le Président, De vous l’Histoire retiendra sans aucun doute l’image d’un homme intègre, d’un administrateur rigoureux et intransigeant ayant fait de la conduite des affaires de l’État un sacerdoce, mais aussi celle d’un démocrate dans l’âme, attaché aux lois et principes qui régissent la république aussi bien qu’aux libertés fondamentales auxquelles ont droit tous les citoyens. Certes votre œuvre n’est pas parfaite (aucune œuvre humaine ne saurait l’être) et cela fait aussi partie de sa grandeur, mais pour l’essentiel vous avez accompli votre devoir et, avant de quitter le pouvoir avec dignité et responsabilité, vous avez mis sur les bons rails un pays aux réalités complexes. Pour ma part, ce que je retiens de vous c’est votre sens profond de l’humain, votre attachement viscéral aux valeurs de paix, de tolérance et de respect mais aussi votre passion pour les arts, la littérature et la culture vraie voie du salut pour l’humanité. La parution de vos Mémoires aux éditions Albin Michel (celles-là même qui publièrent en 1968 « La plaie », ce grand roman de votre aîné et concitoyen Malick Fall, lui aussi un grand serviteur de l’état en son temps) m’a fait découvrir la qualité de votre écriture, la fluidité de votre style (Chateaubriand ne disait-il pas « le style c’est l’homme ») et la finesse ainsi que la profondeur de votre pensée. J’ai refermé les pages de ce superbe livre avec la conviction que si le destin n’avait pas fait de vous le Président de la république du Sénégal vous eussiez été un écrivain talentueux. Monsieur le Président, ce dimanche 7 septembre 2025, s’il plaît au Créateur des cieux et de la terre, vous fêterez le quatre vingt dixième anniversaire de votre naissance et vous aborderez un nouveau tournant de votre riche parcours existentiel. Puisse le Très-Haut vous accorder la faveur de vivre encore de nombreuses années dans la paix et la sérénité auprès de votre fidèle épouse Madame Elisabeth Diouf, votre inspiratrice et gardienne de vos rêves. Puissiez-vous in jour être ceint de cette auréole de sagesse qui illumine le front des élus ayant atteint le grand âge. Pour terminer, Monsieur le Président, permettez-moi de faire appel à ce grand sens de l’humour dont vous avez si souvent usé lorsque vous étiez à la tête de notre pays, et vous souhaiter d’avoir assez de souffle pour éteindre en même temps les quatre vingt dix bougies de votre gâteau d’anniversaire. Je voudrais également dire avec affection à l’ancien secrétaire général de la francophonie, fin connaisseur et ardent défenseur de la langue française : HAPPY BIRTHDAY TO YOU MONSIEUR LE PRESIDENT !
Louis CAMARA Ecrivain Grand Prix du Président de la République pour les Lettres
