Deux Maîtres de la Littérature Sénégalaise : Hommage à Abasse Ndione et Ibrahima Hane

Le monde de la littérature sénégalaise a récemment perdu deux de ses joyaux les plus éclatants, Abasse Ndione et Ibrahima Hane, dont les contributions inestimables ont enrichi le paysage littéraire non seulement du Sénégal mais aussi au-delà de ses frontières. Le Prix Goncourt Mohamed Mbougar Sarr a récemment rendu un hommage vibrant à ces deux écrivains disparus, mettant en lumière leurs styles uniques et leurs talents exceptionnels qui ont marqué les esprits et les cœurs des lecteurs.

Dans une déclaration poignante, Mohamed Mbougar Sarr, lui-même un écrivain émérite, a souligné la distinction remarquable entre les deux auteurs disparus, Abasse Ndione et Ibrahima Hane, en les qualifiant de « Maîtres du rythme et du temps romanesques ». Il a exprimé avec éloquence la manière dont chacun d’eux a façonné et influencé la narration dans la littérature sénégalaise, offrant des perspectives uniques sur le rythme, le tempo et la profondeur narrative.

Mohamed Mbougar Sarr a évoqué la vitesse et l’énergie narrative caractéristiques de l’œuvre d’Abasse Ndione, soulignant que pour quiconque cherchait à maîtriser ces aspects de la narration, la lecture des œuvres de Ndione était essentielle. Ndione était un écrivain qui croyait en la force des personnages, du dialogue et des scènes, captivant ses lecteurs par la vivacité de ses récits et la richesse de ses personnages.

D’un autre côté, Ibrahima Hane, tel que décrit par Mohamed Mbougar Sarr, incarnait une approche différente de la narration. Hane excellait dans l’art de ralentir le récit, de lui donner une profondeur et une ampleur singulières. Pour ceux en quête de perfectionnement dans la maîtrise du tempo narratif, les livres d’Ibrahima Hane étaient une source d’inspiration inégalée. Ibrahima Hane croyait en la puissance de la langue, de la description et des détails, tissant des toiles littéraires où chaque mot était soigneusement choisi et chaque image méticuleusement peinte.

La disparition de ces deux éminents écrivains laisse un vide immense dans la littérature sénégalaise. Leur absence est profondément ressentie, non seulement par leurs familles et leurs proches, mais aussi par leurs lecteurs dévoués qui ont été transportés par leurs récits captivants.

Mohamed Mbougar Sarr conclut son hommage en exprimant ses condoléances les plus sincères aux familles des défunts et à leurs lecteurs. C’est un adieu empreint de respect et d’admiration, une reconnaissance de l’héritage littéraire exceptionnel laissé par Abasse Ndione et Ibrahima Hane, dont les œuvres continueront d’inspirer et d’éclairer les générations futures.

En cette période de deuil littéraire, il est important de se souvenir et de célébrer la vie et l’œuvre de ces deux géants de la littérature sénégalaise, dont l’influence perdurera à travers les pages de leurs livres bien-aimés, gravée dans la mémoire collective des amoureux de la littérature.

Feu Ibrahima Hanne : Lauréat du Prix Alioune Badara Beye 2024



Le monde de la littérature célèbre une fois de plus le génie créatif d’un écrivain émérite, alors que le Prix Alioune Badara Beye pour la polyvalence et la persévérance en 2024 est décerné à feu Ibrahima Hanne pour son œuvre remarquable, Les Dieux de Brousses ne sont pas invisibles. Cette distinction prestigieuse vient s’ajouter à la reconnaissance déjà acquise, puisque le roman a également reçu le prix spécial du jury du Prix Orange en 2023.

L’œuvre de Feu Ibrahima Hanne transcende les frontières de la narration conventionnelle. Les Dieux de Brousses ne sont pas invisibles plonge les lecteurs dans un voyage captivant à travers les profondeurs de l’âme humaine et de la société sénégalaise. À travers une prose poétique et puissante, Hanne explore les thèmes de la tradition, de la modernité, de la spiritualité et de l’identité dans un contexte africain contemporain.



Ce roman, imprégné de la richesse culturelle et des traditions du Sénégal, offre une réflexion profonde sur les défis et les dilemmes auxquels sont confrontées les sociétés en mutation. En juxtaposant habilement le sacré et le profane, Hanne tisse un récit complexe qui invite les lecteurs à remettre en question leurs propres convictions et perceptions.

Le Prix Alioune Badara Beye, nommé en l’honneur du célèbre écrivain sénégalais, vise à reconnaître et à encourager l’excellence littéraire, ainsi que l’engagement envers la promotion de la diversité culturelle. Feu Ibrahima Hanne incarne parfaitement ces valeurs avec son travail novateur et profondément engageant.

En recevant ce prix posthume, l’héritage littéraire d’Ibrahima Hanne est solidifié, et son influence perdurera à travers les générations à venir. Son exploration courageuse des dynamiques sociales et culturelles laisse une empreinte indélébile sur le paysage littéraire sénégalais et au-delà.

En cette année 2024, le Prix Alioune Badara Beye célèbre non seulement un écrivain exceptionnel, mais aussi le pouvoir de la littérature à inspirer, à informer et à unir les peuples à travers le monde.

DIODIO DIOP

Abasse Ndione : La plume engagée face aux défis de la jeunesse dans « La Vie en Spirale »

Abasse Ndione

Une nuit du mois d’août 1974, une idée a germé dans l’esprit d’Abasse Ndione. Cette idée allait donner naissance à un ouvrage significatif et éloquent sur les défis de la jeunesse au Sénégal. « La Vie en Spirale » est né de cette inspiration nocturne, un témoignage puissant de son engagement et de sa préoccupation pour la jeunesse de Bargny, un village au cœur de la société sénégalaise.

Ayant été élu président du Foyer des jeunes de Bargny et vice-président de l’Association Sportive et Culturelle de son quartier après son retour de Casamance, Abasse Ndione s’était pleinement engagé dans la résolution des problèmes de la jeunesse. Cependant, c’est lors d’une nuit marquante où la police arrête cinq jeunes pour trafic de chanvre indien que la réalité bouleversante du monde du yamba, duquel il était relativement éloigné, lui est apparue. Cette découverte a été le déclencheur pour lui d’une profonde enquête sur cette réalité méconnue. En se plongeant dans cet univers, il a ressenti le besoin impérieux de témoigner et d’explorer ces réalités souvent méconnues.

Un Écrivain de la Réalité

« La Vie en Spirale » n’est pas le premier livre écrit par Abasse Ndione. Cependant, ce livre est un regard franc, authentique et percutant sur les défis rencontrés par la jeunesse sénégalaise. Son immersion dans le monde des jeunes en proie à la tentation du trafic de drogue a été le point de départ d’une exploration minutieuse de cette réalité. Un témoignage qui met en lumière une jeunesse confrontée à des choix difficiles, dans un contexte social et économique souvent ardu.

En six mois, Abasse Ndione a travaillé sans relâche pour donner vie à ce récit, explorant les enjeux de la jeunesse, les défis sociaux et culturels auxquels elle est confrontée. Son expérience au sein des associations de jeunes lui a permis de plonger profondément dans ces questions, offrant ainsi un éclairage sincère sur un monde peu connu mais réellement existant.

Un Engagement pour la Jeunesse

Abasse Ndione incarne un engagement constant pour la jeunesse. Son expérience, son travail au sein des associations, et son désir d’explorer la réalité complexe des jeunes ont abouti à une œuvre d’une importance significative. Sa voix, à travers ses écrits, résonne comme un appel à la compréhension, à la sensibilisation et à l’action en faveur d’une jeunesse souvent confrontée à des dilemmes difficiles.

A travers « La Vie en Spirale », Abasse Ndione s’est imposé comme un témoin attentif et engagé des défis de la jeunesse sénégalaise, offrant ainsi une contribution précieuse à la compréhension et à la résolution des problèmes de cette frange vitale de la société.

Alioune Badara BEYE (1945-2024), romancier, dramaturge, éditeur et défenseurs des lettres sénégalaises. In Memoriam

Par Amadou Bal BA

Né le 28 septembre 1945 à Saint-Louis du Sénégal, au 52 rue Carnot, près de la Poste, Alioune Badara BEYE, écrivain sénégalais, dramaturge, poète et romancier, fonctionnaire, ancien président de l’association des écrivains du Sénégal, préfacier et éditeur, nous a quittés le 1er décembre 2024.

«Aly Bèye, turbulent comme tu es, tu me tueras avant ta réussite dans la vie. Parce que tu seras quelqu’un dans la vie», lui avait dit sa grand-mère, Fatou SALL FAYE. En effet, Alioune Badara BEYE, à la lisière de la politique, est un homme de culture accompli en termes d’art dramatique, de littérature, de poésie, de cinéma, de scénario, de management de l’audiovisuel. De son itinéraire mouvementé, en combattant, il a un souci d’aller de l’avant. «Il se dégage un récit de vie tout un pan de notre histoire contemporaine. L’auteur a rencontré un grand nombre d’hommes célèbres, détenteurs de pouvoirs à des degrés divers. La volonté d’aller de l’avant se lit dans le refus de rester figé quand les possibilités s’offrent, souvent face à l’adversité, de tenter autre chose et de réussir. Le respect de la tradition n’est en rien inhibiteur des volontés, en rien négatrice des pulsions novatrices, mais plutôt un socle sur lequel se bâtissent les initiatives qui ne risquent pas de se fourvoyer», écrit Abdoulaye Racine SENGHOR, dans la préface, de «l’uniforme à la plume», un ouvrage autobiographique.

Ses différents ancêtres sont originaires de Saint-Louis, N’Gor, Rufisque, Dakar et le Oualo ; ils comptent dans la conscience du peuple sénégalais. Ainsi, sa mère, Adja Sokhna TINE N’DIAYE, au teint fin et racée, venant du Oualo, alliée au Layène est «La berceuse aux mains de fées, la prêtresse noire aux yeux vairons, pour m’avoir appris à aimer ma race, ma religion, ma famille et mon pays. Enfin pour m’avoir appris à domestiquer la vie», écrit-il en dédicace, dans de «l’uniforme à la plume». Son père, Ibrahima BEYE (1900-1984), est un ancien militaire de carrière, pendant 30 ans, dans l’Armée française. «Je rends hommage à celui qui m’a appris à être utile à mon pays. Celui m’a donné les rudiments d’une bonne éducation, d’un bon père de famille », écrit-il dans son autobiographie. Revenu au Sénégal, pour embrasser une carrière administrative, son père, Ibrahima, a été hébergé par son ami, Alioune Badara GUEYE, dont notre illustre écrivain porte les prénoms, l’amitié étant sacrée au Sénégal. Son père avait été contrôleur des impôts à Saint-Louis, puis à Dakar. Surnommé par son père, Alioune «Diambar» ou le guerrier, «Je me disais qu’avec cette prémonition rien ne pouvait me résister. Mon esprit était sans failles et sans limites», dit-il. Son père, un Lébou aisé, né à Rufisque, avait plusieurs maisons à Dakar et avait connu Blaise DIAGNE (1872-1934), mais sa famille soutenait Galandou DIOUF. Polygame, son Grand-père, Matar Mamour BEYE, avait des boulangeries et cinq maisons. Sa maison d’édition porte le nom de sa grand-mère, Marème DIAGNE DIALER.

I – Alioune Badara BEYE, l’enfant turbulent de Colobane, le soldat la Marine française et le footballeur

Dans les années 50, le jeune Alioune et sa famille s’installent à Colobane, un quartier qui venait de naître à Dakar, une conséquence du déguerpissement du quartier Lébou de M’Bott. C’est là qu’Alioune réussit au concours d’entrée en 6e et choisit le collège d’orientation, à la place de l’école militaire Bingerville, sa mère étant réticente pour cette dernière option. C’est dans cet établissement qu’il rencontre le futur cinéaste, Djbril DIOP MAMBETY (1945-1998), réalisateur, notamment de «Touki Bouki». Alioune s’exerce à la lutte avec M’Baye GUEYE, le Tigre de Fass, un lutteur traditionnel. Colobane est un quartier hautement dangereux, Elébo, un garde du corps de Léopold Sédar SENGHOR y avait été assassiné «À Colobane, ce ne fut pas facile.

L’environnement était pollué. Il a fallu toute une détermination de mon père pour m’éloigner des dangers de Colobane», écrit-il. Turbulent et meneur d’une grève, de plus de 15 jours, il fut exclu de l’école, en dépit de l’intervention de ses parents auprès de Léopold Sédar SENGHOR, un ami de son père, un militant du BDS. Son père avait fait connu, en 1937, le futur président sénégalais à La Rochelle, à l’Armée. Alioune est affecté au Collège Plateau, avec une consigne : «à surveiller étroitement». Mais en cette année 1962, de crise entre SENGHOR et Mamadou DIA (Voir mon article, Médiapart, 13 août 2020), une nouvelle grève des élèves et étudiants éclate, Alioune, et 7 autres meneurs, sont renvoyés «pour trouble à l’ordre public». Qu’à cela ne tienne, il se présente en candidat libre au BEPC. Aussi, et à titre disciplinaire, son père décide de l’envoyer, à l’Armée, à la Marine française, à Toulon «En France, on trouve de tout. Si tu veux un descendant de ton père, si tu veux me faire honneur, évite l’alcool, la cigarette et les dérives de l’exil. Évite ces excès et tu réussiras», lui dit, en guise de viatique, son père.

Alioune Badara BEYE quitte donc le Sénégal, le 2 mars 1963, pour la France. À Toulon, dans le Var, après l’apprentissage, la formation militaire et technique, il découvre les rigueurs de l’atelier, l’ajustage. Cependant, il a une grande passion pour le football, et s’inscrit à l’équipe de Saint-Mandrier, la partie sud de la rade Toulon, dont il fut le meilleur buteur. Il rencontre Robert HERBIN (1939-2020), un joueur de football légendaire de Saint-Étienne. En dépit d’alléchantes propositions de recrutement, Amadou CISSE DIA (1915-2002), alors ministre de Forces armées, son futur mentor, refuse de le libérer, son contrat avec le Sénégal expirant en mars 1968.

II– Alioune Badara BEYE, le footballeur et le douanier

Conducteur d’appareils, adjoint technique de la Marine, un diplôme de baccalauréat plus trois, Alioune Badara BEYE retourne, en 1966, au pays. Pendant deux ans, il sera le meilleur buteur de la Marine sénégalaise. En mars 1968, libéré de son engagement militaire, Alioune Badara BEYE rejoint la vie civile, mais continue de jouer au football. Recruté à la Jeanne d’Arc, en 1969, une grave blessure le contraint à renoncer à sa passion sportive : rupture grave des ligaments internes et externes, lésions graves du ménisque interne. «Pour le football, c’était fini. J’étais conscient que je venais de passer à côté d’une grande carrière», dit-il.

En 1970, Alioune Badara DIEYE est rejoint par l’administration de la Douane. Parfois, désinvolte, suffisant et provocateur, il s’engage, part pour Kaolack et Foundiougne. C’est pendant cette période qu’il va rencontre sa future épouse, Maïmouna DIAW, une femme élégante, racée, fine comme une gazelle. «J’aime ton regard perdu parmi les étoiles. La caresse profonde et sensuelle de ta voix. J’aime ton verbe acéré comme les flèches», écrit-il dans un poème, «Maïmouna, mon épouse pour l’éternité». Ils se marient le 28 septembre 1969, au quartier de la Gueule Tapée, à Dakar. Affecté à Rosso, dans le Oualo, la nouvelle mariée, le suit. «Le Oualo m’a permis de connaître la grande diva, la cantatrice, M’Bana DIOP et sa fille, Lissone M’BODJI. Je découvris N’Der, les secrets du Khoss, de Magaye Kéwé. Je connus aussi les beautés incandescentes des Peuls de Rosso ; elles ont alimenté mes œuvres poétiques», écrit-il. Son aîné, Ibrahima, est né, en mai 1970, à Rosso. En 1972, il fut affecté à Dakar, à la brigade maritime, dont la militarisation se précise. En 1974, son épouse, Maïmouna, avait trouvé du travail, à Dakar, en qualité d’informaticienne. La troisième affectation sera à Foundiougne, où est né son fils, Djibril. C’est à Foundiougne qu’il retrouvera un ancien ami et critique littéraire, Abdoulaye Racine SENGHOR, ainsi que Laye DIAW, un animateur de radio et fin connaisseur de la musique, un «maître du verbe, orfèvre du football et icône du sport universel» écrit, le 14 juillet 2021, Alioune Badara BEYE, dans «Sénéplus». Son grand-père, Matar Mamour BEYE, parti faire fortune au Sine Saloum, est enterré à Foundiougne, son terroir d’adoption.

III – Alioune Badara BEYE : l’ambition littéraire du fonctionnaire

C’est à Foundiougne que l’ambition et la vocation littéraires d’Alioune Badara BEYE se précisent. «Je décidais de choisir une autre vie, une autre carrière. Je choisis le contrôle économique pour retrouver intégralement la vie civile», dit-il. Aussi, en juillet 1974, il quitte Foundiougne, en civil, «Je suis un homme de rupture, de refus et d’instabilité», écrit-il. Le contrôle économique, à cette époque, est sous la direction de Cheikh Hamidou KANE, dit Mathiara (1939-2009), un économiste et un homme politque ; à ne pas confondre avec l’auteur de l’aventure ambiguë. Il est affecté à Pikine, en pleine période de hausse des prix, après le choc pétrolier, mais avec d’importantes rentrées fiscales pour l’État.

En 1975, Alioune Badara BEYE achète, à crédit, pour 20 ans, sa première maison, aux HLM Angle Mousse. C’est là où naîtra son troisième fils, Mame Matar Mamour BEYE, dit Tonton Mac, un rappeur du groupe Sunu Flavor.

En 1978, à la suite d’un conflit avec un commerçant maure, son inspecteur, peu bienveillant à son égard, le mute, presque à titre disciplinaire, à Matam, à plus de 700 km de Dakar, une région aux fortes chaleurs. Résidant au quartier de Gourel Sérigne, chez Talla et son épouse Diguène BA, il fait la connaissance d’Assane N’DIAYE, un généalogiste de Valdiodio N’DIAYE (1923-1984), avocat e homme politique compagnon de route de Mamadou DIA. Il visite de nombreux villages du Fouta-Toro. Matam «n’a pas pourtant accéléré mes connaissances en Poulaar», dit-il.

En 1988, il est affecté à Thiès, à 70 km de Dakar et rentrait chaque soir à Dakar. Il a eu une fille, Rokhayatou (1980-2005), mais disparue trop tôt. Après, une purge, il est promu chef de brigade régional à Thiès, puis affecté à Pikine, à partir de 1989. Il fréquentait déjà, depuis 1976, le Club Léopold Sédar SENGHOR et rencontre Majib SENE, dont les émissions poétiques, Kalmi. C’est une entrée dans la littérature et la poésie. Déjà en 1978, il avait déposé «le Sacre du Cedo» au concours interafricain. Cette pièce diffusée dans toute l’Afrique francophone le conforte dans son ambition littéraire. «Le Sacre du Cedo» est publié en 1981 par les Nouvelles éditions africaines, et cette pièce sera mise en scène par Jean-Pierre LEURS, une version cayorienne transformée en Sérère. «Vous êtes un écrivain. Vous avez du talent et les dispositions», lui dira Makhily GASSAMA, conseiller culturel du président Léopold Sédar SENGHOR. En 1966, lors du Festival Mondial des Arts Nègres, il avait assisté au spectacle «Les derniers jours de Lat-Dior «Ce jour-là, j’avais émis un vœu, celui d’écrire, un jour, un dramaturge dans mon pays», dit Alioune Badara BEYE. La grande première du «Sacre de Cedo» est un triomphe. Désormais, il fait partie des grands dramaturges sénégalais, comme Abdou Anta KA (1931-1999), Thierno BA (1926-2010) ou Cheikh Alioune N’DAW, né le 33 août 1933, à Bignona, auteur notamment de «l’exil d’Alboury».

«Maba, laisse le Sine», une pièce mal interprétée a été critiquée par la communauté sérère. «Rien n’y fît, j’avais décidé de gérer ma carrière littéraire et d’atteindre mon but», dit-il. En raison de ses succès littéraires, Alioune Badara BEYE commence à être invité à l’étranger, et cela crée parfois des jalousies ou des frictions. En effet, l’enfant de Colobane rencontrera d’éminentes personnalités, comme Nelson MANDELA. Engagé dans l’histoire du Sénégal, c’est à N’Gaparou, c’est chez maître Boucounta DIALLO, qu’il a écrit sa pièce, «NDer en flammes». Il est rare qu’un écrivain puisse vivre de son art, de son vivant. «J’arrivais à vivre de mes productions. Toutes mes œuvres furent commercialisées et achetées par les télévisions européennes et africaines», dit-il. Aussi, il quitte l’Administration, avec un chèque conséquent. Sa pièce, «Lat Dior», dont il a été le créateur et producteur, d’un coût de 400 millions de FCFA, sans prêt, mais uniquement avec des subventions, a été un tournant de sa carrière artistique. Seul «Demain, la fin du monde», une fiction poétique, a été censuré par la télévision sénégalaise. «Mamadou Baal reste pour l’histoire, qui théorisa la censure de ma pièce, Demain, la fin du monde», dit-il. Cet ouvrage est un avertissement, sans frais, à tous les dictateurs du monde, dans une République fictive en Afrique : le Dozar. L’opérateur radio déchiffre la terrible nouvelle : dans 24 heures la fin du monde ! La panique s’empare du plus grand nombre. L’auteur regarde ceux qui nous gouvernent et qui poursuivent leur rêve de grandeur, dans leur rapport avec le pouvoir. L’un abandonne celui-ci, l’autre s’en empare. L’homme du peuple est toujours présent, le diplômé chômeur, la prostituée, toutes victimes du pouvoir et qui s’interrogent. Tout se termine par un coup d’État militaire.

Sur le plan national, Alioune Badara BEYE a été en grande proximité, avec Amadou CISSE DIA, son mentor «Il fut, pour moi, un modèle, une référence, un père spirituel», écrit-il. Homme de culture, il a aussi fréquenté tous les chefs d’État et gouvernants de son temps, Abdou DIOUF, et Me Abdoulaye WADE, «un homme politique, doublé d’un homme de culture avisé» et Macky SALL qui «eut les meilleurs rapports avec les écrivains sénégalais, mais aussi l’ensemble de la famille littéraire et artistique du Sénégal. Il mit en place une bonne politique de proximité. Il intervient, directement, dans les dossiers épineux des droits d’auteurs», écrit Alioune Badara BEYE. Naturellement, Alioune Badara BEYE a été en contact avec de grands auteurs, comme Nadine GORDIMER (1923-2014), prix Nobel de littérature, Henri LOPES (1937-2023) écrivain franco-congolais (Voir mon article, 4 novembre 2023), Thierno MONEMEMBO, écrivain guinéen et Erik ORSENNA, de l’Académie française ; il a fait restaurer Keur Birago, la maison des écrivains du Sénégal (Sur Birago DIOP, voir mon article, Médiapart, 9 avril 2022).

Quelle postérité pour Alioune Badara BEYE ?

Né juste après la Seconde Guerre mondiale, le peuple sénégalais se souviendra de sa disparition, un jour hautement symbolique : le 1er décembre 2024, jour du 80e anniversaire du massacre des Tirailleurs sénégalais. Le 2 décembre 2024, après la cérémonie mortuaire à la mosquée de Sacoura, à Colobane, son lieu d’enfance, il a été inhumé au cimetière de Yoff, à Dakar. «C’est avec une profonde tristesse que j’ai appris le décès d’Alioune Badara BEYE, brillant écrivain et président de l’Association des écrivains sénégalais. Le Sénégal perd un homme de Lettres remarquable, un gardien de notre patrimoine culturel», écrit, Bassirou Diomaye FAYE, le 5e président du Sénégal.

Dans son autobiographie, il a évoqué, sans détour, la question de la mort «Aliou, celui qui ne veut pas mourir, ne doit pas naître», lui disait sa mère, Sokhna TINE N’DIAYE «La prêtresse de Colobane ; cette mère chérie qui m’a appris à domestiquer la vie, à respecter mon prochain et à ne pas avoir peur de la mort», écrit-il.

Quelle meilleure façon d’honorer la postérité d’un écrivain, si ce n’est que d’acheter ses livres et de le lire «Un jour, sans nom, je partirai. Je partirai rejoindre Ibrahima, le Patriarche aux mains de salpêtre. Ce jour, ne pleurez pas. À mes lecteurs, à ceux-là qui ont alimenté les essences primordiales de mes rêves, je demanderai de protéger la main du poète contre les affres du désespoir, contre la nostalgie des êtres résignés. Quand je partirai ! protégez mes œuvres de l’oubli», écrit-il un poème in memoriam. «Daba pour ma muse. Tu écriras pour moi», écrit-il dans un poème «Daba Aly, pour qu’elle écrive».

Références bibliographiques

I – Contributions d’Alioune Badara Bèye

BEYE (Alioune, Badara), «Le théâtre moderne sénégalais», in Pierre Herzberger-Fofana, écrivains africains et identités culturelles, Stauffenburg, 1989, 124, spéc pages 51-58 ;

BEYE (Alioune, Badara), Demain, la fin du monde. Fiction politique, Dakar, Les éditions Maguilène, 1993, 67 pages ;

BEYE (Alioune, Badara), Dialawaly. La terre du feu, Dakar, Nouvelles éditions du Sénégal, 1984, 80 pages ;

BEYE (Alioune, Badara), Lat-Dior, Paris éditions Saniza, Sonima music, 1997, cassette durée, 1h45 minutes ;

BEYE (Alioune, Badara), Le secret du Ceddo. Théâtre, Dakar, Nouvelles éditions du Sénégal, 2003, 105 pages ;

BEYE (Alioune, Badara), NDèr en flammes. Théâtre, Dakar, coédition Nena, Maguilène, 1990, 90 pages ;

BEYE (Alioune, Badara), Racki, fille lumière. roman, Dakar, Les éditions Maguilène, 2004, 122 pages ;

BEYE (Alioune, Badara), Sur les traces d’Alioune Badara Bèye, Abis éditions, 2016, 268 pages ;

BEYE (Alioune, Badara), De l’uniforme à la plume. Sur le terrain, comme dans la vie, préface d’Abdoulaye Racine Senghor, Paris, Michel Lafon, 2016, 143 pages ;

BEYE (Alioune, Badara), Une flamme, une vie, une âme, éditions Edilivre, 2014,  pages ;

BEYE (Alioune, Badara), préface de, Sydi SOW, Lamine SAMBE, L’amour d’Inayel. Les tambours emmêlés. Poésie, l’Harmattan, 2024, 152 pages.

II – Autres références

KANE (Mohamadou), «Saint-Louis ou les débuts de la littérature africaine au Sénégal : 1850-1930», Notre Librairie, octobre-décembre 1985, pages 70-77.

Paris, le 1er décembre 2024, par Amadou Bal BA

Pr Momar-Coumba Diop était un des principaux animateurs de la recherche en sciences sociales au Sénégal et en Afrique

Avec la disparition de Momar-Coumba Diop, hier à Paris, la recherche en sciences sociales perd l’un de ses plus éminents représentants.

Décédé hier à Paris des suites d’une longue maladie, Momar Coumba Diop aura été, pendant près d’un quart de siècle, l’un des principaux animateurs de la recherche en sciences sociales au Sénégal et en Afrique. À travers un ouvrage collectif, paru aux éditions Karthala en 2023, sous le titre « Comprendre le Sénégal et l’Afrique aujourd’hui. Mélanges offerts à Momar Coumba Diop », sa « famille très étendue » (qui comprend plus de 200 universitaires de renom) lui avait rendu un hommage mérité de son vivant, à travers des témoignages et des contributions de grande qualité qui recoupent ou complètent ses travaux. Du « Sénégal sous Abdou Diouf », qu’il a co-édité en 1990 avec son ami, l’historien Mamadou Diouf, et qui l’a révélé au public, à l’ouvrage « Le Sénégal sous Abdoulaye Wade. Le Sopi à l’épreuve du pouvoir », publié en 2013, et qui constitue son dernier grand projet éditorial, aucun pan de notre histoire récente n’a été oublié par l’œuvre monumentale et collectivement menée de Momar-Coumba Diop, pour construire une documentation sérieuse et critique sur l’ensemble des champs et ressorts qui sont à l’œuvre dans la formation et l’évolution de l’État sénégalais et de ses rapports avec la société.
Après ses études à Dakar (lycée Blaise Diagne et Département de Philosophie de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Dakar) et une thèse préparée et soutenue en France (Université Lyon II), Momar Coumba Diop a enseigné à l’Université de Dakar de 1981 à 1987 avant d’être affecté à l’Ifan avec le statut de chercheur, après des ennuis de santé qui l’éloigneront des amphis. Il s’est progressivement « réfugié dans l’écriture », aidé en cela par son fidèle ami Mamadou Diouf qu’il appelle affectueusement Modou.
L’un des grands mérites de Momar Coumba Diop réside dans ses capacités personnelles à « recevoir la pensée de ses collègues ». À travailler en équipe. Du fait de sa générosité, il a consacré bien plus de temps à mobiliser ses collègues, à lire et à évaluer les autres qu’à développer ses propres publications. Momar n’a jamais cherché la lumière, il s’est contenté d’irradier autour de lui engagement et générosité.
C’est pourquoi l’historien Boubacar Barry compare l’œuvre de M. C. Diop à « l’entreprise titanesque de l’encyclopédie de Diderot » tandis que pour David Morgant (ingénieur spécialiste du développement urbain) il y a du Tocqueville dans l’approche de Momar Coumba Diop qui consiste à « engager un corps-à-corps avec les problèmes vitaux de son époque, les vivre et les penser ». Si l’homme n’est pas prophète chez lui, car ne bénéficiant pas de la reconnaissance qu’il méritait de son vivant, il jouissait d’un immense respect au sein de la communauté des chercheurs.

Seydou KA