
Depuis quelques jours, un débat vif anime la sphère du slam sénégalais. De jeunes slameurs, portés par leur passion et leur désir d’équité, dénoncent certaines dérives qu’ils estiment présentes dans la démarche de la Ligue sénégalaise de slam. Selon eux, la structure qui devrait fédérer et promouvoir le slam serait en réalité minée par des dysfonctionnements, des pratiques jugées injustes, et une forme de condescendance vis-à-vis des voix émergentes. Les critiques formulées sont claires : un manque flagrant de transparence dans l’organisation des compétitions, l’impression que certains acteurs s’arrogent le droit d’inclure ou d’exclure qui ils veulent, une gouvernance élitiste qui ne reflète pas l’esprit collectif et populaire de cet art né dans la rue, et des lacunes organisationnelles persistantes malgré des alertes répétées. Beaucoup rappellent qu’avant d’être applaudi sur des scènes officielles, le slam s’est d’abord pratiqué sous la pluie et les moqueries, et qu’il serait profondément injuste que ce même slam devienne aujourd’hui un espace verrouillé réservé à quelques initiés.
De son côté, la Ligue sénégalaise de slam admet que le chemin est imparfait. Elle rappelle qu’organiser une compétition n’est pas chose aisée, qu’il faut des efforts constants pour structurer un mouvement en pleine croissance, et que la critique est légitime tant qu’elle ne vire pas au règlement de comptes public. Elle défend l’idée que le slam appartient à tous ceux qui le portent, tout en déplorant que certaines accusations prennent une tournure excessive qui alimente des tensions contre-productives.
Il faut reconnaître que ces divergences sont aussi le signe d’un art vivant, traversé par des énergies nouvelles et des ambitions parfois contradictoires. Le slam sénégalais connaît depuis une décennie un regain d’élan remarquable, il attire un public toujours plus large et suscite des vocations sincères. Mais il faut aussi avoir le courage de dire que cet engouement s’accompagne de nombreuses lacunes : des textes parfois pauvres, sans sens ni profondeur, des performances répétitives, des égos surdimensionnés, et un manque général d’exigence artistique qui fragilise la crédibilité du mouvement.
Pourtant, il suffit de regarder le mot slam pour y entendre presque salam, qui signifie la paix. Ce n’est pas un hasard. Le slam devrait être un symbole de paix, pas un prétexte pour diviser ceux qui se réclament d’un même art. La dernière fois, j’ai assisté à une dispute entre slameurs qui m’a fait sincèrement mal : ils se disputaient bruyamment pour savoir qui avait « volé le trophée », qui étaient « les vrais Meuky ». Cette animosité est non seulement stérile, mais indigne de ce que le slam représente. Nous avons pourtant des références solides, des artistes talentueux comme Maïssa Mara ou Patherson, qui ont su imposer leur voix sans jamais s’enliser dans ces querelles de reconnaissance et d’ego.
Face à cette situation, il est indispensable de poser quelques principes essentiels pour éviter que le slam ne se transforme en un simple théâtre d’affrontements et de frustration. Il faut instaurer une transparence totale dans la publication des critères de sélection, des jurys et des résultats, ouvrir des espaces de dialogue réguliers entre la Ligue et les slameurs, jeunes comme anciens, afin de désamorcer les crispations, valoriser la pluralité des voix et ne pas faire de cette discipline un instrument d’exclusion, professionnaliser la gouvernance par des formations sérieuses en organisation et communication, et créer un comité indépendant de médiation chargé de recueillir les plaintes et de proposer des solutions impartiales.
Le slam sénégalais n’appartient ni à une institution, ni à quelques figures emblématiques. Il appartient à tous ceux qui, un jour, ont pris un micro pour dire ce que d’autres taisaient. C’est cet héritage commun qu’il faut préserver avec humilité et exigence. Nourrir le slam, sans s’en nourrir exclusivement, voilà le viatique que chacun devrait porter, dans l’intérêt de tous et dans le respect d’un art qui, plus que jamais, mérite de rester un espace de paix et de dignité.
Coumba Coulibaly Preitty
