Le livre d’El Hadji Ndiobo Mballo est l’aveu courageux d’un homme qui a consacré sa vie au développement rural en Afrique de l’Ouest, pour finalement se sentir « coupable » d’avoir contribué, malgré lui, à l’érosion des savoirs locaux. Un si long chemin est le récit d’une quête de vérité, qui nous mène du cœur de la brousse sénégalaise aux bancs des écoles techniques, puis au bourbier des projets de développement « parachutés ».

L’Enfance, la Vraie École

Tout commence à Coumbacara, le village natal de l’auteur. Les premières pages nous immergent dans un monde où l’agriculture, la chasse et l’élevage ne sont pas des matières universitaires, mais le tissu même de l’existence. La brousse est à la fois le grenier, la pharmacie naturelle et le maître spirituel. Le jeune Mballo apprend par l’observation, la participation et le respect des mystères de son environnement.

Cette harmonie originelle est brutalement rompue par l’arrivée de l’école française. L’auteur se souvient de la craie, du tableau noir, et du « symbole » — cet objet de punition qui interdisait aux élèves de parler leur langue maternelle. Progressivement, l’enfant de la brousse devient un étranger dans son propre village, déraciné par une éducation qui exalte la France et néglige le sol nourricier. Il décrit avec une poignante lucidité comment les bancs de l’école l’ont éloigné des champs et des précieuses connaissances paysannes.

Le Voyage et la Désillusion du « Développeur »

Formé comme Ingénieur des Travaux Agricoles à une époque d’espoir, Mballo entre dans le monde du développement avec les meilleures intentions. Son récit se transforme alors en une vaste fresque critique des politiques agricoles post-indépendance. Il retrace ses stages au Sénégal et à l’étranger (en Italie notamment), puis son rôle d’agent de vulgarisation.

Au fil des années et des projets, le désenchantement s’installe. Il constate que la théorie apprise est souvent déconnectée de la réalité des terroirs. Les techniques et les actions sont imposées d’en haut, sans réelle consultation des premiers concernés. L’auteur, se distinguant de ses pairs, adopte une approche anthropologique. Il devient l’élève des paysans, comprenant que la sagesse ancestrale est souvent supérieure aux modèles importés. Ce chapitre est un miroir tendu à l’élite africaine, dénonçant le risque des « cimetières d’expérimentations agricoles » – des projets coûteux, bien intentionnés mais finalement inutiles.

Le Retour aux Sources : L’Appel à la Résistance

C’est cette longue et difficile prise de conscience qui mène à la rédemption de l’auteur. Le chemin de Mballo ne pouvait se terminer que par un retour au terrain, sur ses propres termes. Le livre culmine avec la création de l’ONG «7A»/MAA-REWEE, qui incarne la philosophie du développement par l’autopromotion.

Ce n’est plus l’expert occidental ou l’ingénieur diplômé qui apporte la solution; c’est l’acteur local qui se met en mouvement, guidé par ses propres savoirs et son propre contexte. Mballo rend un hommage vibrant aux hommes qui l’ont inspiré, comme Bernard Lédea Ouédraogo, et place la valorisation des connaissances endogènes au cœur de son action.

Le récit se conclut sur l’idée que « Personne ne développe personne, on se développe ». C’est un plaidoyer urgent adressé à la jeunesse africaine : ne vous laissez pas marginaliser par la bureaucratie ou les systèmes qui vous déconnectent de votre terre. Le développement n’est pas une question de budgets, mais de dignité, de savoir et de réappropriation de son destin.

Un si long chemin est donc un manuel de lucidité. Il est indispensable pour quiconque veut comprendre les rouages complexes de l’aide au développement en Afrique. En alliant l’intimité du parcours personnel à la rigueur de l’analyse critique, El Hadji Ndiobo Mballo nous offre un livre qui, espérons-le, empêchera nos « si longs chemins de se perdre dans nos brousses ». C’est un appel à l’action, nous rappelant que le vrai chemin vers la prospérité passe toujours par le respect du savoir de l’Homme et de la Terre.