Le roman, qui est une reconstruction du réel travers la fiction, est aussi un espace littéraire où l’histoire sociale et les fondements d’une civilisation peuvent se croiser pour former une sorte d’authenticité, composée et remise en scène pour les besoins du récit. Cette alliance subtile, qui demeure un exercice difficile, peut servir à assurer la transmission d’un idéal et d’une culture qui porte des valeurs universelles.
C’est, semble-t-il, le cas du premier roman Saisons de femmes de Raby Seydou Diallo qui nous invite à explorer le théâtre de la vie des femmes dans la société sénégalaise contemporaine. Sociologue travaillant sur la condition féminine au Sénégal, Raby Seydou Diallo laisse entendre, en toute liberté, la voix des femmes avec une justesse qui s’appuie à la fois sur la tradition et sur l’évolution moderne. Elle dresse le portrait de plusieurs femmes liées par leur destin familial, avec ses joies et ses épreuves. La généalogie ici racontée est celle de Tante Mina, de sa fille Couro et de Olel, la petite fille. L’analogie qui les unit semble être la transmission culturelle avec des nuances qui s’inscrivent dans les époques traversées par les héroïnes. Le roman débute par le récit d’Olel, orpheline de mère, qui a immigré au Canada et qui aspire à être scientifique.
Par un truchement temporel, on suit ensuite l’histoire de la rencontre de ses parents quelques années auparavant au Sénégal, un amour entier et épanouissant qui conduit le couple sur la voie du partage et du bonheur, inspiré par la tradition et la modernité. Couro, la mère d’Olel, est une femme de caractère qui fait des études de sociologie. Elle rencontre Birane à l’université et ensemble ils décident de se marier et de fonder une famille. Tante Mina, la mère de Couro, assure la transmission féminine à ses filles avec un mélange d’éducation surannée mais totalement ouverte sur les évolutions des nouvelles générations. La cérémonie de mariage de Couro et de Birane est racontée comme une épopée qui tient compte des rituels qui unissent les deux familles. Mais le bonheur est de courte durée puisque Couro, malade, décède peu de temps après avoir donné naissance à Olel. Birane, aidé de sa belle famille, assure seul l’éducation de sa fille, refusant même de se remarier. Et avec toutes les complications que cela implique. Il faut attendre toutefois la fin du roman pour y trouver un dénouement inattendu.
Dans ce récit dédié à la place prépondérante des femmes dans la société africaine, les hommes sont présents mais comme en arrière plan. L’auteur y inverse parfois les relations, comme pour inviter le lecteur à réfléchir aux idées reçues qui placent l’homme dans une situation de domination. La tradition matrilinéaire de la société sénégalaise retrouve ici son récit narratif dans un espace contemporain. Il faut dire que les femmes du récit sont particulièrement épanouies, femmes au foyer mais également intellectuelles ou artistes, elles ont des idées progressistes sans tout révolutionner. Elles possèdent l’intelligence et la beauté de leur éducation et de leur aspiration.
Il y a dans le développement des personnages des significations culturelles de la communauté peule, notamment, et de l’héritage des valeurs. On peut parfois y lire l’aspect pédagogique du conte qui est là pour assurer la succession traditionnelle mais sans enfermement, ni rigidité. Plusieurs questions sont soulevées, celle du mariage mixte, de la religion, de la politique, de l’entreprenariat des femmes, avec Nafissatou notamment qui décide de quitter sa vie en France pour investir dans une ferme au Sénégal, des femmes dans les villages qui créent, qui inventent des modes de vie qui s’adaptent aux exigences contemporaines, de la féminité, de la virilité, de la mort, de la polygamie avec son lot de contradictions, de la confrontation des castes sociales mais tout cela sans tabou et sans atermoiement.
De même, les passages du journal de Couro, quand elle est scolarisée au lycée Mariama Ba sur l’île de Gorée, est très éloquente. On y apprend la rigueur de l’enseignement et l’excellence qui forment communauté pour ces jeunes femmes venues de tout milieu social, et qui par l’école, peuvent réaliser leur rêve d’émancipation et de réussite sociale. Raby Seydou Diallo y a d’ailleurs fait son cursus avant de devenir universitaire et sociologue.
Ainsi, dans ce premier roman, les codes sont souvent balayés, au profit d’une certaine humanité qui ne calcule pas mais qui dicte naturellement la condition de chacun avec une certaine délicatesse et une bonne dose d’humour.
À partir d’une composition romanesque hétéroclite et surprenante, Raby Seydou Diallo réussit le pari de faire cohabiter des sujets de société et une intrigue qui ne laisse pas supposer le rebondissement final. L’écriture narrative est un mélange de construction classique, inspirée des contes et quelque fois du théâtre dans les confrontations orales et les dialogues. Avec le journal de Couro, on plonge dans une forme littéraire qui est celle de la confession réaliste tout en produisant un effet sensible. Les points de vues de la narration sont multiples et dessinent la complexité des relations humaines tout en favorisant le dialogue de manière symbolique, en réfutant la binarité du féminin et du masculin.
Raby Seydou Diallo compose ici un roman imaginatif, singulier et qui a la force d’un message social et culturel. L’héritage traditionnel épouse toutes les conventions humaines et prend sa place dans l’univers moderne. C’est aussi un roman de la créativité et de la beauté africaine qui chemine sur les voies de l’espérance et qui égrène les saisons de nos imaginaires.


𝐀𝐦𝐚𝐝𝐨𝐮 𝐄𝐥𝐢𝐦𝐚𝐧𝐞 𝐊𝐚𝐧𝐞, é𝐜𝐫𝐢𝐯𝐚𝐢𝐧 𝐩𝐨è𝐭𝐞


Saisons de femmes, Raby Seydou Diallo, éditions L’Harmattan Sénégal, Dakar, 2023.