Découvrez l’univers captivant d’Aminata Fall, autrice sénégalo-mauritanienne, à travers une interview riche en réflexions sur les réalités du statut des femmes. Dans son dernier livre “Deux femmes, trois âges”, elle aborde avec passion et engagement des thèmes profondément ancrés dans notre société, offrant ainsi une perspective unique sur les enjeux liés à la place et au statut des femmes.
Propos recueillis par Babacar Korjo
Votre dernier livre, « Deux femmes, trois âges », explore des réalités profondément ancrées dans notre société concernant la place et le statut des femmes. Pourriez-vous nous en dire plus sur les thèmes que vous abordez dans cette œuvre et sur ce qui vous a motivée à les explorer ?
Ces thèmes me passionnent et sont omniprésents dans la sociologie sénégalaise. L’environnement familial, les médias glorifient souvent la figure de la femme patiente, obéissante, et effacée. Cette représentation idéale de la femme, souvent encensée, est rarement remise en question. Je m’interroge sur qui profite de cette image et quel bénéfice en tire-t-elle. Les œuvres littéraires offrent un espace pour questionner des aspects sociétaux moins conventionnels. J’ai une consœur, Djaïli Amadou Amal, qui décrit parfaitement la polygamie dans son pays, le Cameroun, un environnement qui ressemble étonnamment à celui du Sénégal. Dans mes œuvres telles que « Deux femmes, trois âges » et « Walaande, l’art de partager un mari » qui dépeint une polygamie à cinq, le mari se retrouve piégé. La polygamie peut être tout aussi difficile pour les hommes, mais la société patriarcale les oblige souvent à taire leurs sentiments. Écrire pour moi est d’abord personnel, cela nourrit mon esprit. Le partage, les échanges, les retours et les discussions avec les lecteurs sont un plaisir pour moi.
En tant qu’auteure, vous avez choisi le nom de plume Nina Wade. Quel rôle joue ce pseudonyme dans votre travail littéraire ? Pourquoi avoir opté pour un nom de plume ?
J’ai adopté ce pseudonyme durant une année sabbatique entre 2015 et 2016 lorsque j’ai eu le courage de publier mes écrits sur un site d’écriture (Atramenta). Ce choix visait à distinguer mon identité d’auteure de ma vie personnelle. En réalité, je me considère toujours comme une novice en littérature. Pas par fausse modestie, mais parce que je pense ne pas encore avoir accumulé assez d’expérience pour pleinement endosser ce rôle. Ce pseudonyme est devenu une part de ma personnalité.
Votre premier livre, « Une Africaine au Japon », a été publié en 2016. Comment votre parcours littéraire a-t-il évolué depuis lors et quelles ont été les réactions de vos lecteurs à vos écrits ?
Les réactions ont été principalement positives, avec beaucoup d’encouragements, que je tiens à remercier chaleureusement. Certains lecteurs sénégalais m’ont toutefois reproché d’exposer des insuffisances personnelles. Ils se demandaient pourquoi je parlais de mes erreurs. Pourquoi ne pourrions-nous pas exposer nos imperfections ? Existe-t-il des personnes qui ne font jamais d’erreurs ? Je suis authentique et m’attache à la réalité. J’aime aborder les vrais problèmes, les difficultés qui ne peuvent pas facilement être gérées, plonger dans les complexités plutôt que de rester en surface. « Une Africaine au Japon » était une œuvre de non-fiction. Si je ressens le moindre manque d’authenticité, ma motivation s’en trouve altérée. Même en fiction, l’écriture doit rester authentique pour éviter l’imposture. Je m’efforce de rester fidèle à la matérialité des faits tout en choisissant des sujets d’intérêt, surprenants et percutants.
Votre passion pour la littérature semble se lier étroitement à vos préoccupations pour le statut des femmes. Comment percevez-vous le rôle de la littérature dans la sensibilisation et la remise en question des normes sociétales ?
La littérature a un rôle primordial dans la sensibilisation et la remise en question des normes sociétales. De grandes écrivaines telles que Mariama Bâ, Gisèle Halimi, Annie Ernaux et tant d’autres ont été des pionnières en abordant des sujets tabous. Elles ont ouvert un champ de possibilités et contribué à faire taire les esprits misogynes. Leurs écrits ont marqué les générations et ont ouvert des horizons. Cependant, il existe un défi en termes d’accès à la lecture pour les femmes illettrées ou celles qui lisent peu. C’est regrettable car la lecture favorise l’apprentissage et la culture. Les vidéos courtes sont populaires sur internet, mais elles ne permettent pas le développement approfondi des sujets. Les livres laissent le temps au lecteur de réfléchir, ce qui est plus sérieux.
Votre expérience de juriste influence-t-elle votre écriture d’une manière particulière ? Comment conciliez-vous votre formation juridique avec votre passion pour la littérature ?
Mon expérience de juriste a facilité mon travail d’écrivaine. L’entraînement à argumenter et l’habitude de rédiger des commentaires d’arrêt ou des dissertations juridiques ont été un atout. La richesse du vocabulaire juridique et la précision des mots favorisent une écriture ciselée. Cependant, ma formation actuelle de juriste n’influence pas spécifiquement mon style d’écriture. Je sépare clairement les deux domaines.
Vous avez une perspective unique en tant que Sénégalo-Mauritanienne. Comment les différentes facettes de votre identité culturelle influencent-elles votre écriture ?
Il existe des différences notables entre les cultures sénégalaise et mauritanienne, notamment en ce qui concerne le statut des femmes. En Mauritanie, la polygamie n’est pas courante et les femmes ont une plus grande liberté de divorcer sans subir de pressions sociales. Au Sénégal, en revanche, la pression sociale sur les femmes est plus forte, et la famille de l’épouse a souvent un poids considérable dans les décisions matrimoniales. Ces deux visions opposées du mariage ont influencé ma perception des relations conjugales et familiales.
Comment envisagez-vous l’avenir de votre travail littéraire ? Avez-vous d’autres projets en cours ou à venir que vous aimeriez partager ?
J’ai d’autres projets littéraires en cours, mais je préfère pour le moment concentrer mon attention sur la promotion de « Deux femmes, trois âges » actuellement disponible en librairie. Je préfère espacer les parutions pour mieux valoriser chaque ouvrage.
Votre dernier mot ?
Je tiens à remercier chaleureusement mon éditrice, Mme Kérim de la maison d’édition Le carré culturel, pour son incroyable travail dans la promotion de la culture et des livres. Et je vous remercie également pour cette opportunité de m’exprimer. Merci infiniment.