Le roman « La Plaie » de Malick Fall s’impose comme une œuvre littéraire majeure, déployant une exploration captivante des méandres de la vie et de la marginalité au Sénégal. Au centre de ce récit complexe se trouve Magamou Seck, un villageois du pays Oualo, dont le destin bascule après un accident qui le transforme en « l’homme-à-la-plaie ». Cette métamorphose physique devient le reflet d’une marginalité sociale qui transperce chaque page du roman.
L’histoire de Magamou se déroule sur le chemin de Saint-Louis, la métropole où il aspire à concrétiser ses rêves d’ascension sociale. Cependant, l’accident le rend plus qu’un simple individu ; il devient une figure énigmatique, à la fois redoutée et méprisée. Son odeur insupportable et son attitude arrogante font de lui un personnage complexe, une synthèse entre prince et paria sur la place du marché.
Malick Fall réussit à créer une expérience de lecture immersive en jouant avec la dualité entre réalité et hallucination. L’oralité dynamique du roman, teintée d’humour, crée un dialogue intratextuel où Montaigne se mêle à la sagesse populaire wolof. Cette richesse linguistique donne une profondeur inégalée à l’œuvre.
Au-delà de son aspect purement littéraire, « La Plaie » aborde des thèmes sociaux et philosophiques profonds, explorant la marginalité, l’errance, et les conséquences de la colonisation. La préface du professeur Alioune Badara Diané qui accompagne la nouvelle édition offre une lecture éclairée, mettant en lumière les multiples dimensions de ce roman audacieux.
Ce qui rend « La Plaie » exceptionnel, c’est sa sensualité. Malick Fall transcende les conventions littéraires en plaçant le corps au cœur de son récit, avec ses odeurs, ses répugnances, et ses désirs. L’écriture, à la fois élégante et organique, crée une expérience sensorielle qui transforme la blessure physique de Magamou en une métaphore poétique de la condition humaine.
Au-delà de la marginalité physique, le récit explore la marginalité mentale à travers l’accusation de folie portée contre Magamou. Son internement, ses rencontres singulières, et son retour en ville donnent lieu à une réflexion profonde sur la perception de la normalité et de la folie.
Alors que Magamou entreprend un parcours de guérison, « La Plaie » explore la rédemption personnelle et les sacrifices nécessaires pour mériter une place au sein de la communauté. La cicatrisation de la plaie devient une métaphore de la transformation personnelle, mais aussi de l’invisibilité sociale qui en découle.
L’auteur nous guide à travers une odyssée tumultueuse, où les tentatives de suicide, les dialogues hallucinatoires, et les quasi-résurrections jalonnent le chemin vers une révélation finale. Magamou, surmontant ses contradictions, scelle son destin d’une manière qui défie les attentes et transcende les frontières entre la folie et la sagesse.
On ne peut que saluer l’audace de Malick Fall. Son écriture, à la fois crue et élégante, offre une expérience littéraire inoubliable. Ce roman interpelle le lecteur à repenser la nature même de la marginalité, à explorer la richesse de l’oralité sénégalaise, et à plonger dans une introspection profonde sur la condition humaine. Une invitation à rouvrir les pages de « La Plaie » et à se laisser emporter par la puissance de cette œuvre remarquable de la littérature sénégalaise contemporaine.