Dès les premières lignes de L’Éléphant perdu au pays des lucioles, Maguèye Touré nous entraîne dans une odyssée urbaine où la modernité vacille entre dérèglement et transcendance. À travers huit nouvelles d’une intensité rare, l’auteur dissèque les mécanismes sociaux et psychologiques qui façonnent les trajectoires individuelles dans la ville contemporaine, cet espace mouvant, à la fois métaphore de l’espoir et territoire du désenchantement. 

D’une plume incisive et profondément évocatrice, Magueye Touré s’emploie à sonder les tensions inhérentes à l’environnement urbain, là où se côtoient la précarité et l’opulence, la désillusion et la ferveur, le tragique et le sublime. Ses récits s’articulent autour de figures évoluant à la marge, confrontées à l’inéluctable confrontation entre les promesses d’un avenir incertain et le poids écrasant d’un présent chaotique. 

Le titre même du recueil, énigmatique et poétique, donne le ton : L’Éléphant perdu au pays des lucioles suggère l’égarement dans un monde où la grandeur et la force (l’éléphant) peinent à trouver leur place au sein d’une réalité peuplée d’éclats fugaces (les lucioles). Ce titre oxymorique traduit à lui seul le paradoxe fondamental qui innerve ces nouvelles : l’irréductible conflit entre l’immensité de l’être et la brièveté des instants lumineux, entre l’aspiration à la stabilité et la mouvance intrinsèque de la ville. 

Dans ces tableaux de la modernité hésitante, Maguèye Touré s’attarde sur les dérives et dysfonctionnements d’un monde en perpétuelle mutation. La ville, avec ses avenues tentaculaires et ses faubourgs éclatés, se révèle être une entité presque organique, en perpétuelle effervescence, où l’on oscille sans cesse entre l’ordre et l’entropie. 

Les nouvelles du recueil abordent ainsi les multiples visages du dérèglement social : 

La criminalité et ses ramifications, où l’acte délictueux devient autant un mode de survie qu’une forme de révolte silencieuse. 
La précarité et le chômage, qui enferment les protagonistes dans un cycle d’errance et de désillusion, réduisant leur horizon à une lutte quotidienne pour la dignité. 
L’isolement et la jalousie, où les relations humaines, minées par la défiance et la suspicion, deviennent des miroirs déformants de l’angoisse existentielle. 
Le poids du temps, notamment à travers la retraite, qui transforme la ville en un labyrinthe où errent les âmes oubliées, confrontées à la vacuité de l’après. 
L’hubris du créateur, ce vertige de l’artiste face à son œuvre, cette tension entre la volonté d’absolu et la peur de l’échec, qui fait de la création un champ de bataille intérieur. 

Ce sont autant de prismes narratifs qui permettent à l’auteur de capturer les tourments de la condition humaine dans un cadre urbain, où la ville devient tour à tour prison, échappatoire et miroir des angoisses collectives. 

Une écriture ciselée et un regard sociologique aigu 

Originaire de Saint-Louis du Sénégal, Maguèye Touré s’impose comme une voix singulière dans le paysage littéraire sénégalais, notamment par sa prédilection pour la nouvelle, un genre exigeant où chaque mot doit porter son poids d’émotion et de signification. Lauréat du Prix Cénacle du Livre 2021 pour Le Super-héros et du Prix Aminata Maïga Kâ de la Nouvelle 2022 de l’Association des Écrivains du Sénégal, Touré s’inscrit dans une lignée d’auteurs qui explorent avec acuité les fissures et contradictions des sociétés contemporaines. 

Sa prose, à la fois sobre et incisive, se distingue par une économie du langage qui va droit à l’essentiel, tout en cultivant une profondeur qui se dévoile progressivement. Il capte l’essence de l’instant, traque les silences autant que les mots, scrute les gestes, les regards, les non-dits qui façonnent les destins. 

Le recueil est traversé par une poétique de la lumière et de l’ombre, où les éclats d’espérance côtoient les gouffres du désespoir. La ville y est un palimpseste de vies en sursis, un espace où coexistent le prosaïque et le métaphysique, le trivial et le sacré. 

Un recueil nécessaire

L’Éléphant perdu au pays des lucioles s’impose comme une œuvre incontournable pour qui veut comprendre les dynamiques de l’exclusion, les ambiguïtés de la modernité et les paradoxes de la ville sénégalaise contemporaine. 

Maguèye Touré, en véritable observateur des failles humaines, ne se contente pas d’écrire : il donne à voir, il donne à ressentir, il exhorte le lecteur à interroger ce qu’il croyait connaître du monde urbain. 

Dans un style qui emprunte tantôt au réalisme social, tantôt à un symbolisme subtil, il nous laisse avec cette question lancinante : dans le tumulte de la ville, où se perd l’éléphant et que lui disent les lucioles ? 

« Une lecture essentielle pour quiconque cherche à explorer les interstices du visible et les marges du possible.«