A un premier abord, le titre de ce recueil de nouvelles peut intriguer, non pas qu’il soit dans l’absolu intrigant, mais il peut laisser une impression de familiarité, de déjà-vu, tant le TER, projet de transport en commun inédit au Sénégal, a suscité des débats de toutes natures. La question qu’on est en droit de se poser d’emblée est celle-ci : à quel titre une romancière reconnue se mêlerait-elle d’un projet de transport en commun ? A-t-elle une visée de glorification du projet ou, au contraire, adopte-t-elle une position de réserve ? Au fond, rien de tout cela. La lecture des nouvelles qui constituent le recueil fait tomber tous les aprioris qu’on aurait été tenté de nourrir à propos de ce livre.

Dans ce recueil de nouvelles dont le TER est le fil conducteur, le train, s’il est presque omniprésent, n’est finalement qu’un prétexte commode pour asseoir un discours sur le temps présent, sur le choc quelque peu brutal qu’engendre l’intrusion d’un vecteur du progrès dans une ville ancienne aux traditions bien ancrées : Rufisque.

Le récit des effets des travaux du TER sur le vécu des populations de Rufisque est l’occasion, pour l’auteure Mariama Ndoye, de continuer de tisser la trame de l’amour profond qu’elle éprouve pour sa ville d’origine Rufisque, si belle jusque dans ses laideurs, et une nouvelle fois personnage principal  de  son  œuvre.  C’est  la  raison  pour  laquelle,  si  elle  accepte d’emprunter avec l’époque les vertus de la modernité, il demeure que le processus est assimilable à un couteau chauffé à blanc destiné à cautériser une  blessure   ouverte   :   si   l’objectif   est   la   guérison,   celle-ci   passe inévitablement par la douleur et la souffrance. La douleur et la souffrance de Rufisque, ce sont celles d’une ville quelque peu assoupie, la plupart du temps secouée par les joutes d’une tradition politique ancrée, mise sens dessus  dessous,  éventrée,  dont  des  édifices  sociaux  et  religieux  sont abattus  de  même  que  des  maisons  qui  ont  abrité  rêves,  amours  et coutumes.   Cependant,    et   paradoxalement,    le   TER    apporte    aussi l’épanouissement  individuel  et  collectif  en  enrichissant  à  millions  les populations impactées, en restaurant également une vieille tradition de Rufisque comme ville de rails avec toute la mythologie qui y est attachée, en ouvrant largement le chemin de la modernité . Sur ce plan, le TER est attendu  comme  le  sauveur  :  on  a  ainsi  décelé  dans  le  texte  quelques dialogues cocasses dans lesquels tel personnage se plaint que sa maison n’ait pas encore subi les assauts  des engins  de  destruction pour qu’il rejoigne sans coup férir le club des millionnaires ou supposés tels !

Le TER est aussi un prétexte pour mettre en exergue des traditions et des habitus culturels en perdition, bousculés, secoués fortement par le progrès symbolisé par le train, dans une relation des faits où pointe souvent la nostalgie de l’enfance confondue avec l’Eden. Toutefois, si le char du progrès peut donner l’impression de tout écraser sur son passage sans discernement, il demeure que n’affleure jamais à la surface du récit un quelconque rejet. L’auteure se veut surtout une chroniqueuse et un témoin de son temps, de l’histoire en marche. Elle jette sur son époque un regard bienveillant rempli d’amour et d’humanité vraie. A travers cette touche humaine,  quand  Mariama  Ndoye  interroge  le  local,  c’est-à-dire  très souvent les traditions léboues et la culture urbaine rufisquoise, ne sont jamais  loin  l’ouverture  sur  le  global,  la  perception  du  Sénégal  par  le monde, à travers ses valeurs de tolérance religieuse notamment, mais aussi les grandes questions existentielles : la destinée humaine, la vie, la mort, sans oublier les tendances modernes comme les réseaux sociaux qui étendent à la planète entière nos émotions particulières.

Ces nouvelles sont agréables à lire car l’auteur use d’un style élégant, délicat, sans afféteries, qui convoque plusieurs registres de langage, use de  plusieurs  langues  :  le  français  naturellement,  mais  aussi  le  wolof, parfois le latin. La narratrice du recueil se pose en conteuse chroniqueuse qui  pointe  avec une  douce  ironie  et  un  humour  parfois  décapant  les travers de ses concitoyens rufisquois si représentatifs de ses compatriotes sénégalais. Cette posture révèle l’amour profond que l’auteure éprouve pour son peuple, car, c’est connu, le degré du châtiment est proportionnel à l’affection que l’on a pour la personne objet de ce châtiment. Parfois, le ton peut se faire plus dur lorsqu’il s’agit d’adresser quelques piques bien senties à la perfidie féminine, symbolisée par belles-familles et nièces envieuses si promptes à la trahison.

Au-delà de la relation des conséquences immédiates et de l’espoir porté par un projet public, on devine chez l’auteure l’angoisse du temps qui passe, avec les espaces familiers qui mutent ou disparaissent, les traditions devenues évanescentes.

A cet égard, ce recueil de nouvelles peut constituer une leçon pour tous : décideurs, simples citoyens, férus de cultures, de traditions et de progrès. Mais avant tout, on est en présence d’un texte littéraire avec son identité stylistique et ses beautés d’écriture.

Maguèye Touré