La littérature africaine contemporaine regorge d’œuvres qui, sous le prisme de la fiction, sondent les abysses de la condition humaine et les tragédies intimes qui en jalonnent l’existence. Parmi elles, Père Inconnu de Pabé Mongo s’impose comme une exploration vertigineuse du vide paternel et de la douloureuse hérédité des blessures affectives. L’auteur, de son vrai nom Pascal Bekolo Bekolo, universitaire et prolifique homme de lettres camerounais, tisse un récit d’une densité psychologique remarquable, abordant avec acuité la transmission silencieuse des souffrances et la difficulté d’en briser l’engrenage.

Dès les premières pages, le lecteur est happé par la trajectoire d’une jeune fille marquée par l’absence abyssale de son père. Fruit d’une union fugace et marquée par l’errance d’un géniteur insaisissable, elle grandit dans l’ombre d’un manque irréductible. L’enfance de l’héroïne est une succession de prises de conscience douloureuses, où chaque regard posé sur les figures paternelles de son entourage lui renvoie l’image fantomatique de celui qui devrait la guider.

L’adolescence n’apporte guère de répit. La brève réapparition du père, suivie de son retrait définitif, constitue une fracture irréparable, redoublant l’abandon initial d’une violence symbolique. Ce moment suspendu, où l’espoir se voit avorté, incarne toute la déchirure qui sous-tend le roman : le désir fébrile de reconnaissance anéanti par l’inconstance de l’autre.

Le drame de Père Inconnu ne se borne pas à la seule privation de présence paternelle : il s’inscrit dans une logique de reproduction tragique. Lorsque la protagoniste, devenue jeune femme, est à son tour abandonnée par le géniteur de son enfant, la fatalité semble scellée. Cette itération du destin maternel dessine un cycle inextricable de solitude et de responsabilités assumées en dépit des défections masculines. Cependant, loin de s’enfoncer dans une résignation stérile, l’héroïne choisit de reprendre le contrôle de son propre récit.

C’est dans l’écriture que réside l’acte salvateur. Allongée sur son lit d’hôpital, elle entreprend de coucher sur papier son histoire, non seulement pour exorciser ses propres blessures, mais également dans une démarche de transmission et d’avertissement. La plume devient ainsi un instrument de résilience, un moyen d’affirmer sa volonté de rupture avec le destin qui lui était tracé.
En cela, Père Inconnu s’inscrit dans une lignée d’œuvres qui interrogent la construction identitaire et les failles de la filiations. La voix de Pabé Mongo, à travers un style sobre et poignant, capte avec une justesse saisissante l’intimité de la déchirure et l’aspiration à la reconstruction.

Si le roman s’ancre dans un contexte africain précis, où la présence paternelle est souvent soumise aux exigences d’une société en perpétuel mouvement, son propos transcende les frontières. L’expérience de l’abandon, de la quête inassouvie d’un amour paternel et de la volonté de réparation trouve un écho universel, touchant quiconque a un jour cherché à combler un vide originel.

Avec Père Inconnu, Pabé Mongo offre une réflexion d’une intensité rare sur l’absence, la transmission des blessures et le pouvoir libérateur de l’écriture. Un roman qui, sous une apparente simplicité, révèle toute la complexité des liens familiaux et de leur impact sur la construction de soi.