Plongez dans l’univers poignant de Dado Touré, auteure du roman ‘Les Liens Maudits’, qui partage son parcours, son inspiration, et la genèse de son œuvre dédiée à la lutte contre le viol. Découvrez comment son témoignage, inspiré par une histoire personnelle bouleversante, offre une voix à celles et ceux victimes de cette injustice. À travers cette entrevue, explorez le rôle crucial de la littérature dans la sensibilisation sociale et la manière dont ‘Les Liens Maudits’ cherche à impacter la société, tant au Sénégal qu’à l’étranger.

Propos recueillis par Babacar Korjo

1- Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a amenée à écrire votre premier roman, “Les Liens Maudits” ?

Mon nom est Dado Touré. Je suis née à Saint-Louis du Sénégal. J’ai fait mes études élémentaires et secondaires à Tivaouane dans la région de Thiès. Après l’obtention du baccalauréat, j’ai été orientée à l’université Gaston Berger de Saint-Louis en 2017, au département d’Anglais, où j’ai obtenu ma licence en 2020, spécialisée en Littératures et Civilisations du Monde Anglophone. J’ai écrit ce roman pour témoigner à toutes les femmes et aux enfants qui ont été victimes de viol. Mais aussi pour rendre hommage à mon amie qui a vécu le même sort.

2- Quelle a été votre principale source d’inspiration pour aborder un sujet aussi délicat que le viol dans votre roman ?

Dans ce roman, j’ai raconté des choses que j’ai vues, lues, et vécues. J’ai écrit sur des événements que j’aurais préféré ne pas avoir connus ou vécus.

3- “Les Liens Maudits” raconte deux histoires de viol interconnectées, celle de Saly et de sa fille Khaar. Pourquoi avez-vous choisi de présenter ces récits parallèles ?

Un lecteur peu averti pourrait être emporté par le personnage de Khaar et sa vie qui ouvrent le roman, mais qui n’est utilisé que comme prétexte pour raconter la vraie histoire. Je veux dire celle qui m’intéresse véritablement, c’est-à-dire l’histoire de Saly, la mère de Khaar. Mais Khaar symbolise toute une conscience collective. L’histoire de Khaar démasque la pratique injuste d’éduquer un enfant. Comme le titre le démontre, “Les Liens Maudits”, Saly et Khaar sont reliées par des liens invisibles du destin qui suscitent des sentiments et des réactions de malédiction, tout comme le cordon ombilical qui relie une mère et son enfant.

4- Pouvez-vous partager avec nous le processus de création de votre livre ? Avez-vous rencontré des défis particuliers lors de son écriture ?

Oui, écrire ce roman était un défi pour moi. Après une première tentative décevante avec une première maison d’édition, j’ai failli jeter mon manuscrit à la poubelle. C’est dans ces moments de doute et de frustration que mon professeur de français à l’UGB m’a mis en rapport avec Fama éditions, de Moustapha Ndéné Ndiaye, qui, en quatre mois, m’a permis de publier ce roman. L’édition est un casse-tête pour les jeunes auteurs au Sénégal. Il faut beaucoup de moyens financiers, de la patience et du courage pour être publié. J’ai même été victime de chantage pour la correction de mon livre. Mais il faut avoir la tête sur les épaules pour affronter tous ces obstacles de la vie quotidienne.

5-Comment votre environnement personnel ou votre entourage ont-ils influencé votre approche de l’écriture de ce roman ?

Mon entourage m’a beaucoup appris sur la vie quotidienne. La plupart d’entre eux ne savaient pas que j’avais ce rêve d’écrire, car je m’enferme tout le temps dans mon monde et je parle peu pour dire l’essentiel. Comme on dit souvent, “Fais tes projets en silence et le succès fera du bruit”.

6- Vous avez mentionné que votre motivation pour écrire ce livre provient de l’histoire de votre amie
d’enfance. Pourriez-vous nous en dire davantage sur cette source d’inspiration ?

Oui, c’est une histoire tragique. J’ai été témoin de sa souffrance, que ce soit dans sa maison familiale, dans la société et plus particulièrement de son viol par un charlatan. Étant petite, je ne pouvais rien faire. Elle était l’enfant unique de sa mère et voulait aider sa mère qui souffrait également dans la maison familiale où elles vivaient avec sa grand-mère.

7- Quel message ou quelle réflexion souhaitez-vous transmettre aux lecteurs à travers “Les Liens Maudits”?

Dans ce contexte d’oppression des femmes et des enfants, je dis à mes lecteurs et lectrices de prendre conscience des faits sociaux. Revoir l’éducation des enfants et la gestion d’un foyer. Éviter de tout mettre sur le dos des femmes victimes de viol. Mais aussi dire à ces femmes victimes de cette injustice que le viol n’est pas une fin en soi. Il faut croire en la justice divine.

8- Considérez-vous que la littérature a un rôle spécifique dans la sensibilisation et la lutte contre les problèmes sociaux tels que le viol ?

Absolument. On écrit une histoire, qu’elle soit vraie ou imaginaire, pour véhiculer un message. On crée des personnages pour transmettre ce message. Par exemple, dans mon livre, le “je” utilisé par Khaar ou Saly représente toute une conscience. Il ne se donne pas comme la marque d’une voix unique et exceptionnelle, mais plutôt comme la voix d’un représentant, d’un délégué. En même temps, cette voix révoltée contre les pratiques sénégal-musulmanes est aussi celle de la femme-écrivain qui exprime sa victoire sur le tabou du silence et sur les coutumes par une écriture chic et choquante en même temps. Il n’y a que l’écriture qui détient ce pouvoir.

9- Parmi les écrivains sénégalais qui ont abordé le thème du viol, comment pensez-vous que votre approche se distingue ou complète celle de vos prédécesseurs ?

En lisant Mariama Bâ, Ken Bugul et Aminata Sow, j’ai remarqué une différence, peut-être cela joue un peu sur les générations. Parce qu’au temps de Mariama Bâ, il y avait peut-être une barrière. Elles n’osaient pas décrire une scène tragique, par exemple. Parler de la sexualité était un sujet tabou. Mais avec notre génération, par exemple, on décrit les scènes sans tabou pour toucher la sensibilité des lecteurs.

10- Enfin, comment espérez-vous que votre roman impacte la société, tant au Sénégal qu’à l’étranger ?

Même s’il n’est pas un coup de maître, ce roman contient les germes d’une personne dévouée. Je prie pour que cet ouvrage ait un succès retentissant, afin que j’aie l’envie et le courage de vous produire d’autres récits qui confirment mon espoir et conquièrent le monde extérieur. En partageant mes pensées et en participant aux différentes activités de la lecture.