Elgas, dans Mâle Noir, nous offre un roman d’une rare intensité, oscillant entre introspection et critique sociale. Le narrateur, jeune, fringant, et blasé, s’emploie à raconter son histoire sans jamais sombrer dans l’auto-apitoiement. Sa verve, certains diraient sa tchatche, compense la déveine et les incertitudes qui jalonnent son existence.

Au cœur du roman, la question de l’amour – ou plutôt de son absence – résonne comme un leitmotiv. Des femmes seules, y compris en couple, des relations éphémères où le lit remplace la vie partagée. Une succession de coucheries désillusionnées laisse une empreinte d’énergie morte, rappelant que la chair est triste, et que l’illusion de l’amour se dissipe au matin.

Mais Mâle Noir ne s’arrête pas là. Elgas, dans une prose acérée et rythmée, s’attaque à la question identitaire avec une lucidité percutante. La déculturation, la volonté de reconquérir une africanité perdue – par des actes symboliques comme le retour en Afrique ou l’activisme noir – se heurtent à l’individualisme occidental, créant une tension irrésolue entre deux mondes qui s’affrontent sans jamais se comprendre.

Le style d’Elgas rappelle parfois Houellebecq, notamment dans le portrait d’une mère impossible à aimer. Toutefois, si l’on retrouve ce même cynisme, il est ici tempéré par une pudeur bienveillante. L’auteur dépeint un étudiant sénégalais devenu un bon « Tubaab » (Blanc), naviguant entre ses racines et une culture d’adoption qui l’imprègne. Ce qui frappe, c’est l’absence totale de proverbes africains ou de phrases en langue locale, un départ radical de la tradition d’un Ahmadou Kourouma. L’africanite s’efface ici au profit d’une narration plus universelle, un choix assumé qui renforce la singularité du roman.

Mais au-delà de ces débats identitaires, Mâle Noir est avant tout une exploration des méandres de l’amour et du désir. Le narrateur traque l’amour, tente de le comprendre, de s’y abandonner, sans jamais réussir à le saisir pleinement. Tour à tour, il déshabille les corps de Sylvie, Mélodie, Nina… des femmes qui, elles aussi, cherchent quelque chose sans vraiment le trouver. L’amour y est dépeint dans toute sa complexité : espoir, violence, renoncement.

Le roman dépasse ainsi la simple quête amoureuse pour aborder des thèmes universels : l’altérité, le racisme, le mouvement décolonial, l’immigration. Elgas tisse avec habileté un dialogue constant entre l’ici et l’ailleurs, entre l’être et autrui, mettant en lumière les fractures culturelles et existentielles qui habitent son protagoniste.

On ressort de Mâle Noir avec le sentiment d’avoir parcouru un roman dense, profond, où chaque page révèle une maîtrise du verbe remarquable. Entre introspection poignante et regard critique sur la société contemporaine, Elgas signe un texte puissant, qui questionne et captive à la fois. Un livre à lire, à déguster, à décortiquer.

BKN