Depuis mon plus jeune âge, j’entendais ma grand-mère utiliser l’expression “doo écrivain doo foksiineer” pour remettre quelqu’un à sa place, signifiant littéralement “tu te prends pour qui, tu n’es ni écrivain ni fonctionnaire”. Dans ma tête, je rêvais secrètement de devenir écrivain, notamment parce que mon père était fonctionnaire.
Nous étions alors dans les années 60, une période où les fonctionnaires et les écrivains étaient très respectés au Sénégal. Lorsque mon père me demandait ce que je voulais faire plus tard, ma réponse était invariable : “je voudrais être écrivain et te dédier un livre”.

Il n’a pas ménagé ses efforts, ni en temps ni en argent, m’abonnant à la librairie Cora Fall où je pouvais choisir tous les livres que je voulais sans aucune retenue, profitant de l’insouciance de l’enfance. Je lui en suis profondément reconnaissante, tout comme à ma mère qui m’a permis d’écrire dans ma langue maternelle.

Mon initiation à l’écriture a commencé avec des romans, jusqu’à ce que je fasse la découverte marquante de Mariama Ba à travers “Une si longue lettre”. Après l’avoir lu, j’ai déchiré mon propre manuscrit en mille morceaux par crainte d’être accusée de plagiat, ayant imaginé un scénario similaire : deux jeunes filles correspondant sur le thème de la polygamie.

À cette époque, le concept de plagiat était difficile à expliquer à un enfant de 13 ou 14 ans. Pour moi, tricher signifiait déshonorer non seulement mes amis et ma classe, mais aussi ma famille, c’était une source de honte.

Cependant, tout a changé avec le décès tragique de mon père, mon frère aîné et ma cousine dans un accident de voiture provoqué par un camion en panne au milieu de la route, sans aucun panneau de signalisation. À ce moment-là, j’ai écrit mon premier poème intitulé “Les brumes”, extrait de “Les Termites du Salut”, un recueil dédié aux victimes innocentes de l’anarchie routière et aux passagers du Joola. C’est à ce moment que j’ai découvert mon amour pour la poésie, là où je me sens peut-être le plus à l’aise. Depuis mon enfance, j’ai toujours aimé réciter des poèmes, c’était ma passion secrète. La poésie est devenue un exutoire pour moi, me permettant de libérer mes émotions en trop, de me réconcilier avec moi-même, de m’apaiser et de trouver du soulagement.

INTELLIGENSIA MAG – MARS 2023