Née à Douala au Cameroun le 24 décembre 1967, Koyo KOUOH, nous a quittés le 10 mai 2025, à Bâle en Suisse. Arrivée en Suisse à l’âge de 13 ans quand sa famille y déménage, Koyo KOUOH y suit d’abord des études en finances, avant de se passionner pour la culture. «Sa mort laisse un vide immense dans le monde de l’art contemporain et qu’elle avait travaillé avec passion, vigueur intellectuelle et vision sur la conception et le développement de la Biennale Arte 2026», dit la Biennale de Venise.

Koyo KOUOH est la première afrodescendante à être pressentie, le 3 décembre 2024, pour les fonctions de 61e Commissaire à la prestigieuse Biennale de Venise de 2026. «En tant que jeune Africaine, dans ce monde occidental où j’avais l’impression d’être spectatrice d’une pièce où je n’avais pas de rôle, la conscience s’est révélée vers mes vingt ans de la nécessité d’un retour en Afrique», avait-elle dit. Koyo KOUOH sentait le poids de l’honneur de cette nomination à la Biennale de Venise «L’exposition internationale d’art de la Biennale de Venise est le centre de gravité de l’art depuis plus d’un siècle. C’est un honneur et un privilège uniques de suivre les traces de prédécesseurs éminents dans le rôle de directeur artistique et de composer une exposition qui, je l’espère, sera porteuse de sens pour le monde dans lequel nous vivons actuellement – et, plus important encore, pour le monde que nous voulons créer» avait dit Koyo KOUOH.

Le travail accompli par Koyo KOUOH qui a tracé un chemin exigeant n’est pas perdu ; sa vision artistique de l’avenir est tellement puissante que les nouvelles générations ne manqueront pas de s’emparer de son riche héritage. Koyo KOUOH qui a brisé permettra à d’autres de «gravir la montagne raciale», en référence à une expression du poète afro-américain, Langston HUGHES.

Suissesse originaire du Cameroun, refusant toutes les assignations, la démarcation entre la périphérie et le centre, Koyo KOUOH s’est attachée toute sa vie à dénoncer le colonialisme et le patriarcat. «Je m’intéresse à un art qui a aussi de la pertinence sociale et politique», dit-elle.

Panafricaine, «je défends un art interdisciplinaire qui place l’humain au centre des préoccupations sociales», dit-elle. En effet, créatrice d’expositions, productrice intellectuelle et actrice, Koyo KOUOH était riche de sa diversité «Je travaille à redéfinir la possibilité africaine contemporaine à travers les débats et les idées de l’art contemporain», dit-elle.

Koyo KOUOH connaissait bien le Sénégal, où elle avait vécu dans les années 90 jusqu’en  2002, et travaille à la programmation artistique de l’Institut Gorée. Koyo KOUOH y avait de nombreux amis, dont notre regretté Issa SAMB dit Joe Ouakam, ainsi que mon amie, Ken Bugul M’BAYE, écrivaine (Voir mon article Médiapart). «Je suis particulièrement intéressée par le quotidien africain, le quotidien noir, le quotidien de l’être noir dans le monde, l’idée même de comment les Africains et les afrodescendants habitent le monde et comment nos cultures, nos valeurs, nos philosophies ont engendré ou pas la connaissance du monde. On ne peut pas se passer de la sensualité. C’est l’émotion, c’est un espace d’énergie et de conceptualisation de la vie qui est extrêmement riche et générateur. Enfin, il y a le loisir. Une grande stéréotypisation a été faite sur la vie des Noirs qui voudrait que tous ceux qui vivent en Afrique sont des miséreux. Ce n’est pas le cas. On peut être heureux en Afrique et tout le monde n’est pas riche et heureux en Europe non plus», avait-elle dit au journal l’Humanité.

Directrice et conservatrice en cheffe du Zeitz Museum of Contemproray Art of Africa au Cap et fondatrice et ex-Directrice la Raw Material Company de Dakar, un centre dédié à l’art, au savoir et à la société à Dakar et écrivaine, Koyo KOUOH était aussi un métissage culturel «Nous souhaiterions explorer une autre politique d’intégration ancrée dans les enjeux locaux et soucieuse de libération, dans un esprit d’apprentissage mutuel, attentif aux nouvelles solutions Sud-Sud», dit Koyo KOUOH.

Les intellectuels et hommes de culture camerounais ont naturellement rendu hommage à Koyo KOUOH. «J’aurais tellement voulu la rencontrer cette Camerounaise chevillée et suisse d’adoption, pour parler des perspectives qu’ouvre ma vision de la culture pour le Cameroun et notre continent. Son parcours confirme que le talent est universel et que le Cameroun est une de ses terres d’élection», dit Maurice KAMTO, universitaire et homme politique camerounais. « Quel mystère de la vie ! Elle nous donne beaucoup, elle prend aussi. Elle est généreus, car elle nous donne plus qu’elle ne nous prend. Et pour ces moments de bonheur, elle nous les laisse pour l’éternité », dit notre illustre ami, Kader ATTIA.

«Je crois en la vie après la mort parce que je suis issue d’une éducation noire ancestrale, où nous croyons en des vies et des réalités parallèles. Il n’y a pas de «après la mort», «avant la mort» ou «pendant la vie» ; cela n’a pas beaucoup d’importance. Je crois aux énergies, vivantes ou mortes, et à la force cosmique», disait Koyo KOUOH.

Rest in Peace, in the Heaven !

Références bibliographiques

KOUOH (Koyo) SHOUPS (Martin) SWINNEN (Peter), Philippe Aguirre y Otegui : Théâtre source, Ndogpassi, Antwerpen, Ludion, 2015, 112 pages ;

KOUOH (Koyo), sous la direction de, État des lieux : symposium sur la création d’institutions d’art en Afrique, Ostfidern, Hatje Cantz, 2013, 140 pages ;

KOUOH (Koyo), Ken Bugul M’BAYE et autres, When we See Us : a century of Black figuration in painting : [exposition, Cape Town, au Zeitz museum of contemporary art Africa, du 19 November 2022 au 3 September 2023], Ostfidern, Hatje Cantz, 2013, 140 pages ;

BADER (Joerg), «Koyo KOUOH», Critique d’art, autonome-hiver 2024, n°63, pages 92-94 ;

BARBANCEY (Pierre), «Koyo KOUOH, commissaire d’exposition», L’Humanité, 2 septembre 2024 ;

SAMB (Issa, Joe Ouakam), KOUOH (Koyo), Documenta and Museum Fridericianum Veranstaltung, Ostfidern-Ruilt, Hatje Cantz, 2011, 35 pages, texte en allemand ;

VAZZOLER (Marine), «Koyo KOUOH, commissaire de la Biennale de Venise 2026», Le Quotidien de l’art, 3 décembre 2024, n°2946.

Paris, le 14 mai 2025, par Amadou Bal BA