Dominique Anne Téhé
Doctorante en Lettres modernes 
Université Félix Houphouët-Boigny 
Université Franche-Comté

La lecture en tant que lieu de rencontre entre un individu et un dispositif idéologique, remplit de nombreuses fonctions instrumentales et cognitives. Véritable bibliothèque mentale, elle repose sur des habiletés techniques, perceptives, linguistiques et symboliques. Elle implique une activité mentale qui n’est pas anodine. Si la lecture semble une expérience agréable et avantageuse pour les lecteurs assidus, elle demeure un exercice difficile voire orthopédique pour le commun. Cette difficulté à lire me paraît de plus en plus chez un grand nombre d’Ivoiriens, ce qui m’amène à m’interroger sur la généralisation de ce qui peut apparaître comme la manifestation d’une bibliophobie.

Résidant en France, précisément à Besançon, dans le cadre d’une recherche doctorale, j’ai pu faire le constat d’une vivacité d’une certaine (connaissance) du livre dans le décor urbain. L’intérêt des jeunes pour les livres m’interpelle quand j’observe la situation en Côte d’Ivoire. Pour bon nombre d’élèves et d’étudiants ivoiriens, la lecture n’est pas encore une pratique naturelle. Les réticences envers la lecture sont nombreuses. Elles traduisent parfois des comportements ataviques : « moi je ne lis pas », « moi je n’aime pas lire »… Ce sont des propos que l’on entend couramment.

Pièce essentielle des décors sociaux, le livre est un outil de civilisation qui devrait pouvoir s’inscrire dans les habitudes de lecture. Mais la lecture a un coût que beaucoup d’Ivoiriens, frappés par la crise économique, ne peuvent pas toujours s’offrir. La lecture, ce n’est pas juste une pratique culturelle, c’est aussi un enjeu social. L’accessibilité du livre et sa visibilité pour le plus grand nombre sont un impératif. C’est une urgence, un levier d’instruction, de construction identitaire, d’ascension sociale. La lecture, c’est un lieu qui nous relie à l’histoire et au temps par les ouvrages. À tout cela s’ajoute la logique urbanistique et infrastructurelle qui fait de la place à la culture et à l’expression de la pensée.

Dans l’hexagone, l’habitude de lire procède aussi de la démultiplication des centres de documentation et de lecture. Les lieux de vie pullulent de médias de lecture et de mise en scène des livres. En Côte d’Ivoire, la tendance semble être inversée. Les centres de lecture sont souvent rares, voire inexistants. Il est urgent d’instaurer, chez les jeunes et moins jeunes, une culture par la lecture. Il est important d’investir pour comprendre et faire comprendre les enjeux de la lecture et de la culture et du livre.

Ce dispositif mythologique, culturel, symbolique et économique doit pouvoir être un repère dans l’urbanité. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas une injonction à lire qui fera des lecteurs. Lire, c’est aussi un plaisir. Mais encore faut-il que le plaisir de lire soit accessible à tous. Il faut rendre le livre visible. Il faut encourager des politiques culturelles qui développent des pratiques autour de la lecture. L’État, les collectivités locales, les entreprises, les écoles, les familles, les jeunes… tous doivent pouvoir s’approprier la lecture pour en faire un levier de transformation. Lire doit devenir une pratique naturelle, un besoin, une nécessité collective de notre temps.