CHRONIQUE LITTERAIRE DE
LA PIECE D’OR
Dr BIDOUZO Nounangnon Judith

Etudier les œuvres des femmes, selon le critique émérite Adrien Huannou, c’est : « …montrer que les femmes ont écrit aussi des œuvres littéraires dans lesquelles elles se sont exprimées, dans lesquelles elles ont exprimé leur être féminin, leur vision sur la société et leur point de vue sur les problèmes de notre société. […] montrer en quoi peut constituer leur engagement sur le plan politique. » (Adrien Huannou, 2001.). Le choix des œuvres produites par les femmes et inscrites dans les programmes d’études répond donc à cette pédagogie féministe chèrement entretenue par le professeur émérite qui a consacré près de de vingt-six années académiques (1987 à 2012) à l’enseignement des œuvres des écrivaines de la sous-région ouest-africaine francophone. L’introduction de ce roman se veut un vibrant hommage à cette femme engagée qui a passé de longues années au Bénin avant de rejoindre le Sénégal sa terre natale. Nous avons raison de célébrer cette plume exceptionnelle, cette Agodjié dont les souvenirs au Bénin ont été heureusement préservés par le centre qui porte son nom à Porto-Novo (Merci à Florent et Sonia).
Bienvenue à Ken Bugul qui, après des années à l’université, s’invite dans le débat au collège.
Sororité chérie ! Une femme part et installe une autre. Une Sénégalaise pour une Sénégalaise (Béninoise par alliance) Mariama Bâ cède la place à Mariétou M’Baye.

DIRE LE DESENCHANTEMENT DES PEUPLES

Pour illustrer la période des désillusions ou du désenchantement de l’Afrique depuis les années 1960, l’on cite souvent des œuvres comme Les soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma, Les tresseurs de corde de Jean Pliya ou encore Le cercle des tropiques d’Alioum Fantouré. Mais on s’aperçoit avec le roman La pièce d’or de Ken Bugul que le regard des femmes sur la situation socioéconomique de l’Afrique après les années 1960 est tout aussi perspicace que celui des hommes. En témoigne le diagnostic complet que pose l’écriture de la romancière sur les nombreuses plaies qui compromettent le bien-être de l’Afrique : la misère, la solitude, l’angoisse, l’exode rural, la mal gouvernance, les crises estudiantines, les tourmentes de la jeunesse, l’éducation, l’immigration, la mendicité, l’homosexualité, la pollution, la gestion des villes, le dévoiement des religions, le panafricanisme, etc.
La pièce d’or est un roman symbolique qui se situe à la lisière entre le conte et le mythe. Au détour de l’histoire d’une famille (Ba Moise, son épouse et leurs deux enfants : Moise et Zak) l’auteur, dans un style original, procède à la satire sociopolitique de l’Afrique postcoloniale à travers un pays « africain » qu’elle ne nomme pas, mais dont la capitale est : « Yakar ». Ken Bugul convoque l’Histoire qu’elle explore pour donner vie à des personnages exceptionnels. Deux catégories de personnages se profilent en effet dans l’oeuvre : les uns n’existent dans l’ouvrage que par leurs noms et les allusions faites à leurs exploits historiques dans la réalité : ce sont des icônes de l’Histoire : Anikulapo Kuti Ransome, Jimmy Canada, Cheikh Anta Diop, GcinaMhlope, les Frères Cabral, Thomas Sankara, Khassim Mbacké, Walter Sisulu, Mater Diack, Aline Sitoe Diatta, William Sassine, Nelson Mandela, Samora Machel, Cheikh Ahmada Bamba et Modou-Modou, Joseph Ki-Zerbo, Blondin Diop, Mongo Beti Aung San SuuKyi, Yambo Ouologuem et Valdio Ndiaye, etc. Les autres, les vrais porteurs de l’action dans le roman, ne doivent leur existence qu’aux actions concrètement vérifiables dans l’histoire des premiers.
Le roman a, en outre, l’avantage de projeter le lecteur dans le futur. Ce temps d’espoir que l’on ne voit pas se produire véritablement dans le récit se lit comme un message à l’endroit de la jeunesse en proie à la déception. La romancière convoque le merveilleux en s’inspirant de la symbolique de la pièce d’or, source de pouvoir et de richesse, pour réconcilier la jeunesse africaine avec elle-même. Seul cet héritage magique qui provient du Condorang, une créature mythique de petite taille pourra opérer le miracle qu’attendent tous les africains : le changement des consciences.
Il faut enfin souligner que les conditions existentielles des personnages féminins ne sont pas vraiment exceptionnelles. Qu’il s’agisse de la mère de Moise, de… ou de la danseuse, aucune n’a pu véritablement poser un acte héroïque distinctif. Seul Moise, comme le personnage biblique a su montrer que « L’apprentissage de la connaissance s’accompagnait de l’apprentissage de la vie » ( Ken Bugul, 2015, p.153).

Passionnément lire!