L’œuvre magistrale d’Aminata Sow Fall, « L’Appel des arènes, » se dresse comme une fresque littéraire captivante explorant les méandres des conflits identitaires au Sénégal. À travers l’histoire de Nalla, un jeune garçon pris entre les aspirations modernes de ses parents et l’attrait irrésistible des traditions, l’auteure offre une réflexion profonde sur la tension entre urbanité et ruralité, entre occidentalisation et préservation des héritages culturels.
L’intrigue se dévoile dans la ville de Louga, où Nalla, issu d’une famille éduquée et « évoluée, » lutte avec son identité façonnée par des parents désireux de le modeler selon des normes occidentales. Son père, Ndiogo, vétérinaire, et sa mère, Diattou, sage-femme, incarnent cette nouvelle classe sociale sénégalaise qui a fait ses études en Occident et cherche à imposer ses idées modernes dans un espace urbain en transformation. Pourtant, l’âme de Nalla est imprégnée des réminiscences des traditions que ses parents tentent de réprimer, créant ainsi un conflit générationnel poignant.
Les parents de Nalla, avide d’occidentalisation, rejettent délibérément leurs racines culturelles, symbolisées par la grand-mère Mame Fari. Ce rejet entraîne un isolement social et une rupture avec les liens communautaires, illustrant la difficile intégration de la classe éduquée sénégalaise dans un contexte urbain en mutation. Ainsi, Aminata Sow Fall explore la complexité de la dynamique entre les générations, où les parents tentent de réprimer un héritage culturel que leur fils porte comme un secret transgénérationnel.
Le roman révèle également les contradictions au sein de la classe éduquée sénégalaise. Bien que cette classe aspire à l’occidentalisation, elle reste attachée à des pratiques traditionnelles dans ses activités professionnelles. Le père Ndiogo intervient en tant que vétérinaire auprès des éleveurs nomades, et la mère Diattou rencontre des femmes imprégnées de vieilles croyances dans sa maternité. Ainsi, malgré les efforts de modernisation, l’ancien mode de fonctionnement persiste.
La véritable révélation pour Nalla se produit dans le monde envoûtant des arènes. Alors que ses parents considèrent cela comme un folklore anachronique, pour Nalla, la lutte devient une initiation à la vie d’homme. Aminata Sow Fall décrit avec grâce ce monde enchanteur des lutteurs, des griots, des traditions, des hommes-lions, des fêtes et des gris-gris, révélant ainsi la richesse de la culture sénégalaise.
À travers le personnage d’André, le lutteur du Saloum, l’auteure souligne l’importance des pratiques économiques et alimentaires traditionnelles qui maintiennent un lien entre la ville et le village. Cependant, cette mobilité alimentaire n’est pas exempte des pressions de l’économie de marché, entraînant même la tragique mort d’André.
Nalla, en refusant l’imposition d’un modèle de société étranger, tisse un lien entre le présent et le passé. Il embrasse paradoxalement des moyens de déplacement modernes pour renouer avec les traditions. Le roman dépeint ainsi la résistance d’un jeune homme face à l’aliénation culturelle, explorant les conséquences de la perte des racines sur l’individu.
Monsieur Niang, enseignant de Nalla, devient un allié inattendu en reconnaissant la poésie dans les rêves de l’enfant. À travers son diagnostic d’aliénation, l’auteure souligne la mutilation que représente la perte des racines, mettant en lumière l’importance vitale de préserver les liens avec les traditions pour éviter le dessèchement de l’âme.
« L’Appel des arènes » est bien plus qu’une simple histoire ; c’est une exploration profonde de l’identité sénégalaise, de ses luttes internes et de la nécessité de trouver un équilibre entre le progrès et la préservation des héritages culturels. Aminata Sow Fall nous guide avec subtilité à travers ce voyage littéraire, offrant une réflexion captivante sur la complexité de la modernité et de la tradition dans une société en évolution. Le roman s’impose comme une œuvre majeure, un écho puissant des dilemmes culturels qui résonnent bien au-delà des frontières du Sénégal.