Par un fils de Thiès, sociologue et citoyen éveillé

À Thiès, ce 26 avril 2025, un Takkussan littéraire pas comme les autres a secoué les consciences. Ni conférence académique, ni simple animation culturelle, mais un moment de vérité brute. L’occasion d’ouvrir les yeux sur une réalité trop souvent ignorée : le mal-être silencieux d’un peuple qui rit pour ne pas pleurer.

Dans un pays où l’humour est devenu un antidépresseur collectif, le Sénégalais souffre… mais avec style. On s’habille bien, on fait des vidéos drôles, on accumule des followers — mais derrière les écrans et les sourires, la détresse est réelle. Une jeunesse désorientée. Des pères en crise. Des mères épuisées. Et un pays tout entier qui, faute de traitement, se gave de distractions pour ne pas affronter ses véritables douleurs.

Des douleurs qui ne crient pas, mais qui étouffent

Un père qui n’arrive plus à subvenir aux besoins de sa famille, une femme qui vit l’humiliation d’un mariage sans tendresse ni parole, un étudiant brillant mais sans avenir clair… Toutes ces souffrances partagées dans les bus, les salons, ou les silences, témoignent d’un Sénégal sous pression constante, mais sans soupape.

Et pourtant, on en parle peu. Car ici, consulter un psychologue, c’est « être fou ». Mais courir chez un charlatan ou faire une « quête spirituelle » en ligne, ça passe. Résultat : on crie dans les lives TikTok, on éclate sur des buzz futiles, on réagit avec violence à la moindre contrariété. La frustration devient virale, comme une fièvre qu’on tente de cacher avec du parfum.

Des chiffres qui parlent

Une enquête menée auprès de 36 personnes entre 17 et 68 ans révèle :

50 % vivent un stress régulier

58 % ont traversé un mal-être sans jamais en parler

83 % estiment que les Sénégalais n’expriment pas leurs douleurs profondes

100 % trouvent la société trop exigeante, trop brutale, trop jugeante


Face à cette réalité, les institutions peinent à suivre. L’école produit des diplômés perdus, les familles explosent sous la pression sociale, et les marabouts remplacent les thérapeutes. On ne guérit pas, on compense. On ne dialogue pas, on condamne.

La société de la disharmonie

Nous vivons dans un désalignement profond. Les institutions ne remplissent plus leurs fonctions sociales, les repères familiaux s’effondrent, et même la foi est parfois vidée de son sens éthique. Résultat : une société déchirée entre traditions, modernité, injonctions sociales et course à la survie.

Et maintenant, que faire ?

La réponse ne viendra pas des urnes seules. Elle doit venir du terrain, des quartiers, des consciences. Voici quelques pistes proposées dans ce moment de parole libérée :

Mettre en place des espaces d’écoute bienveillante dans les familles, les quartiers, écoles, daara, espaces jeunes, associations, universités, hôpitaux.

Former et valoriser des psychologues compétents et accessibles.

Encourager le sport, l’art, la spiritualité saine, les débats citoyens.

Réhabiliter la figure du père, souvent négligée, pourtant essentielle à l’équilibre des familles.

Apprendre à écouter, à parler sans juger, à respirer dans ce tumulte social.


Thiès : une ville debout, une jeunesse debout

Thiès, terre de fer et de feu, est plus qu’une ville : elle est une mémoire vivante. De Lat Dior à nos jeunes penseurs, elle incarne cette résistance tranquille qui ne se contente pas de survivre, mais cherche à comprendre, à guérir, à avancer.

C’est dans cette dynamique que le mouvement « Thiès en Marche » s’inscrit. Et même si les jeunes du mouvement doivent quitter leur local après le Takkussan, leur mission ne s’arrête pas. Un mouvement ne vit pas dans les murs, mais dans les idées qu’il sème.

Conclusion

Le Sénégal n’a pas seulement besoin de réformes politiques. Il a besoin d’un réalignement social, psychologique et moral. Une société malade ne se soigne pas avec du divertissement. Elle se soigne avec du sens, de l’écoute, de la justice et de l’amour.

Le Grand Angle Socio salue cette jeunesse thiessoise qui pense, parle, ose et surtout… reste debout.

Docteur Cheikh Tidiane MBAYE,
Sociologue