
L’Alliance des États du Sahel (AES), formée en septembre 2023 par le Mali, le Niger et le Burkina Faso, représente une initiative ambitieuse visant à renforcer la souveraineté, la sécurité et l’intégration régionale face aux défis multiples qui secouent la région sahélienne. Dans ce contexte de transitions politiques, marquées par des coups d’État militaires et une volonté de rupture avec les dynamiques passées, le rôle des femmes émerge comme un facteur clé pour assurer le succès et la durabilité de ces processus. Bien que souvent marginalisées dans les sphères de décision, les femmes sahéliennes possèdent un potentiel immense pour transformer les transitions en opportunités de paix, de développement et de stabilité.
Un Contexte de Transitions Complexes
L’AES est née dans un climat d’instabilité, avec des militaires au pouvoir dans les trois pays membres, suite à des coups d’État survenus entre 2020 et 2023. Ces transitions, initialement prévues pour céder la place à des gouvernements civils, se prolongent sous prétexte de restaurer la sécurité face aux menaces terroristes et aux crises socio-économiques. Cependant, la réussite de ces transitions ne peut reposer uniquement sur des solutions militaires ou des alliances géopolitiques. Elle nécessite une approche inclusive, où les femmes, qui constituent plus de la moitié de la population, jouent un rôle actif.
Le Rôle Historique et Actuel des Femmes au Sahel
Les femmes sahéliennes ont toujours été des piliers de résilience dans leurs communautés. Lors des grandes sécheresses des années 1970, elles ont orchestré des stratégies de survie, gérant les ressources alimentaires et développant des mécanismes de solidarité. Aujourd’hui, elles représentent environ 80 % de la main-d’œuvre agricole dans la région, garantissant la sécurité alimentaire des ménages malgré les aléas climatiques et les conflits. Leur rôle dans l’économie informelle – transformation des produits agricoles, petit commerce – est également crucial pour la subsistance des familles.
Au-delà de leur contribution économique, les femmes jouent un rôle essentiel dans la cohésion sociale et la médiation des conflits. Au Mali, par exemple, elles ont été des actrices de l’ombre dans la mise en œuvre de l’Accord de paix d’Alger, facilitant le dialogue communautaire et continuent à faciliter dans l’ombre de nombreux accords locaux dans les régions du centre . Au Burkina Faso, des initiatives comme le projet « Femmes ! Levez-vous ! » ont permis de renforcer leur leadership local, tandis qu’au Niger, des associations féminines militent pour une plus grande inclusion dans les processus décisionnels.
Les Défis à Surmonter
Malgré ces contributions, les femmes restent sous-représentées dans les instances de transition de l’AES . Les indicateurs de genre dans la région sont alarmants : au Niger, 76 % des filles sont mariées avant 18 ans, et au Mali, le taux d’alphabétisation des femmes reste bien inférieur à celui des hommes. Ces inégalités structurelles, combinées à la violence basée sur le genre exacerbée par les conflits, limitent leur capacité à influencer les transitions.
Une Opportunité pour l’AES
L’intégration des femmes dans les transitions de l’AES offre une opportunité unique de construire des sociétés plus inclusives et résilientes. Leur participation active peut se traduire par plusieurs leviers :
Sécurité et Paix : En tant que médiatrices communautaires, les femmes peuvent contribuer à désamorcer les tensions inter et intra communautaire et à prévenir la radicalisation, notamment auprès des jeunes.
Développement Économique : Leur autonomisation économique, via l’accès à la terre, au crédit et à la formation, renforcerait les économies locales, essentielles dans des pays sans littoral comme ceux de l’AES.
Gouvernance Inclusive :
Une plus grande représentation dans les instances de transition garantirait que les politiques répondent aux besoins de l’ensemble de la population .
Des initiatives comme la résolution 1325 des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, soutenue par des partenaires de l’Alliance Sahel, montrent la voie. Des projets concrets, tels que la création de plateformes féminines pour le dialogue politique (WANEP, CEDEAO, PNUD), ou encore les formations en leadership au Burkina Faso, illustrent le potentiel transformateur de ces approches.
Vers une Vision Stratégique
Pour que l’AES réussisse ses transitions, elle doit dépasser sa vocation initiale de pacte de défense mutuelle et intégrer une dimension sociale et humaine. Cela passe par des engagements clairs : investir dans l’éducation des filles, lutter contre les violences de genre, et inclure les femmes dans les processus de prise de décision.
En somme, les femmes ne sont pas seulement des bénéficiaires passives des transitions dans l’Alliance des États du Sahel ; elles en sont des actrices indispensables. Leur inclusion n’est pas une option, mais une condition sine qua non pour transformer les crises actuelles en opportunités de progrès. Alors que l’AES ambitionne de devenir une confédération, elle doit reconnaître que sa force réside dans la diversité et la résilience de ses populations – à commencer par celles de ses femmes.
Mohamed Abdellahi Elkhalil
Spécialiste des Questions Sociales et Sécuritaire du Sahel