1. Présentation de l’ouvrage

Le Silence du Pilon est un recueil de dix nouvelles écrites par Idrissa SOW Gorkoodio, un écrivain et critique littéraire sénégalais. Publié dans la Collection Arc-en-Ciel, cet ouvrage s’inscrit dans une tradition littéraire engagée qui met en lumière les réalités sociales et culturelles du continent africain. À travers une plume incisive et poétique, l’auteur explore des thématiques majeures telles que l’éducation, la condition féminine, la quête d’identité, les pesanteurs socioculturelles et les injustices sociales. Chaque nouvelle est une fresque vivante qui plonge le lecteur dans des récits poignants, parfois sombres, mais toujours porteurs d’un message d’espoir et de résilience.

  • Analyse thématique
  • Le Silence du Pilon – L’oppression patriarcale et l’émancipation féminine

Cette nouvelle emblématique donne son titre au recueil. Yanguima, la protagoniste, rêve d’un monde utopique dans lequel les femmes ne sont plus opprimées par les traditions patriarcales. Le pilon, objet domestique courant, devient le symbole d’un silence ancestral imposé aux femmes. Dans son rêve, les hommes jurent d’abandonner leurs violences et les femmes repren- nent espoir. Mais le réveil est brutal : Yanguima est victime d’un viol conjugal et fuit dans la nuit. Ce contraste entre rêve et réalité illustre la persistance de l’oppression et l’impossible émancipation dans une société profondément inégalitaire.

« Les hommes, parole d’homme, jurèrent qu’ils avaient jeté dans le fleuve en venant sur cette terre promise le gourdin de minuit. […] Yanguima […] prit ses jambes à son cou. »

  • La Blonde de la Lorraine – Le choc des cultures et la double vie

Sogui, un homme africain vivant en Occident, incarne le dilemme identitaire entre deux cul- tures. Marié à Laura, une femme blanche, il semble avoir renoncé à ses racines. Mais son retour en Afrique révèle qu’il mène une double vie : il a conservé ses épouses traditionnelles au pays. La nouvelle questionne les apparences, les rapports de domination culturelle et la difficulté d’intégrer pleinement deux systèmes de valeurs contradictoires.

« Laura trouva au beau milieu de son salon, Sogui, l’Africain confortablement allongé sur un petit canapé couvert d’un drap blanc. Deux épouses dociles comme des enfants de chœur, après l’avoir bien nourri, le massaient, le dorlotaient. »

  • Dans la Tanière d’une Lionne Indomptable – La domination féminine et la masculinité en crise

Le récit met en scène un magistrat respecté, écrasé dans son foyer par une épouse autoritaire. L’ironie mordante de Gorkoodio sert une critique inversée du patriarcat. La puissance féminine domestique contraste avec la faiblesse masculine privée. Le mari, figure de pouvoir social, de- vient un personnage secondaire face à la force implacable de la « lionne ».

« Ne suis-je pas la lionne indomptable […] ? Essaye à nouveau de trouver une jeune épouse ; je te brise les os… »

  • L’Éprouvée – La violence sexuelle et l’injustice sociale


Cette nouvelle met en lumière le drame de l’inceste familial, perpétré par Katioor, un homme influent. La victime, sa propre fille, lutte pour se faire entendre dans un contexte social qui banalise ou étouffe ce type de violences. Le procès devient un espace symbolique de vérité et de justice, mais aussi de dévoilement d’une société malade de son silence. Le récit est un plai- doyer pour les victimes de violences sexuelles et la reconnaissance institutionnelle de leur souf- france.

« Je requiers qu’il plaise à la Chambre criminelle de déclarer l’accusé Katioor coupable… »

  • La Plume de l’Humanité – L’engagement de l’écrivain et le rôle de la littérature

Réflexion métatextuelle sur l’engagement de l’écrivain, cette nouvelle présente une auteure re- cluse, indifférente au monde, jusqu’à ce qu’un témoignage de souffrance lui redonne le goût de l’écriture engagée. Le texte valorise la littérature comme outil de justice sociale, appelant à une parole responsable et militante. C’est aussi une défense de l’acte d’écrire face à l’indifférence ambiante.

« Écrire des livres, alors qu’un membre de la société souffre ? […] L’artiste est obligé de s’en- gager dans l’arène sociale. »

  • Mélanima – La fierté raciale et la lutte contre la dépigmentation

Mélanima est le symbole de la fierté noire. Elle incarne la beauté naturelle face à la dépigmen- tation, pratique courante en Afrique. La nouvelle oppose le culte de la peau claire à une réap- propriation des valeurs traditionnelles et corporelles. Le regard que porte le narrateur sur Mé- lanima célèbre une esthétique noire oubliée ou dévalorisée.

« À partir d’aujourd’hui, je n’utiliserai plus de produit dépigmentant. Noire, je suis, Noire, je demeurerai ! Honneur à toi ma petite Mélanima qui vient de m’ouvrir les yeux ! »

  • Albamour – La discrimination et le rejet des albinos

Cette nouvelle aborde l’albinisme, à travers le rejet que subit un enfant albinos, y compris de son propre père. L’auteur dénonce les superstitions et les discriminations, mais met aussi en lumière la puissance de l’amour maternel, seul rempart contre la haine. Albamour devient un symbole d’innocence bafouée, dans un monde où la différence fait peur.

« On ne buvait pas à la cantine avec un gobelet qu’Albamour avait utilisé. On le rinçait à grande eau. »

  • Le Canapé de l’ascension sociale – Le harcèlement sexuel et l’intégrité féminine

Dans cette dénonciation d’un fléau moderne, une jeune femme subit les avances indécentes de son supérieur qui lui promet des récompenses en échange de faveurs sexuelles. Mais elle choisit l’intégrité et la dignité. Le canapé, objet du compromis immoral, devient le symbole d’un sys- tème corrompu. L’auteur valorise le courage et la résistance à la compromission.

« Je me suis trompée ; derrière cet homme que j’appelais affectueusement “mon papa” […] se cachait un pervers. »

  • Gecoura – La décadence morale et écologique d’une communauté


Allégorie d’une société en perdition, Gecoura, autrefois vertueux, devient un village dévasté par la cupidité, la corruption et la pollution. L’auteur relie la dégradation environnementale à la perte des repères moraux et culturels. La nature se venge des dérives humaines, et l’auteur appelle à un retour aux valeurs fondamentales.

« Des hommes déracinaient des arbres […] gorgeaient de pesticides la nappe phréatique […] Le monde était gangréné… »

  • Un matin funeste de mars deux mille vingt – La pandémie comme révélateur de l’inhumanité

Inspirée par la pandémie de COVID-19, cette nouvelle clôt le recueil sur un regard désabusé mais lucide. Elle décrit une société qui perd son humanité dans l’épreuve mondiale, incapable d’empathie ou de solidarité. Gorkoodio interroge notre futur collectif et invite à une réforme profonde de nos comportements et de notre système de valeurs.

« Des hommes tendaient fièrement les mains à l’inhumanité […] ils refusaient d’humaniser l’humanité. »

  • Analyse du style et de la structure
    • Une écriture entre réalisme et symbolisme

Gorkoodio adopte une écriture qui oscille entre le réalisme et le symbolisme. Ses descriptions précises et immersives plongent le lecteur dans un univers tangible, tandis que ses métaphores et allégories donnent une dimension plus profonde aux récits.

  • Une narration variée et dynamique

L’auteur utilise diverses techniques narratives pour captiver son lecteur : dialogues percutants, introspections profondes, descriptions poétiques et alternance entre narration linéaire et fragmentée. Cette diversité stylistique permet de donner du rythme aux nouvelles et d’accentuer leur impact émotionnel.

  • Forces
  • Une écriture riche, imagée et immersive qui capte l’attention du lecteur.
  • Une diversité thématique qui aborde des questions profondes et universelles.
  • Un équilibre entre dénonciation sociale et message d’espoir.
  • Des personnages complexes et nuancés qui donnent du relief aux récits.
  • Conclusion

À travers ces dix nouvelles, Idrissa SOW Gorkoodio dresse un portrait sans concession de la société, mettant en lumière ses travers tout en offrant des pistes de réflexion et d’espoir. Son écriture, à la fois percutante et poétique, fait de Le Silence du Pilon un ouvrage puissant qui interpelle et touche profondément le lecteur.

 Dakar, le 08 Mai 2025

Mohamed SOUARE                                                                            

Ingénieur en Génie Biologique et Biotechnologies Critique littéraire

Dakar, SICAP-Foire