Dans les marges bruyantes du quotidien, la lecture devient silence. Au Sénégal, elle recule, non par désintérêt, mais par épuisement. Entre les prix du transport, la pression des loyers, l’instabilité professionnelle et les charges domestiques, lire n’est plus toujours une priorité. Elle devient un privilège, parfois un luxe.
Et pourtant, des résistances s’organisent. Des maisons d’édition comme Papyrus Afrique ou L’Harmattan Sénégal défendent un travail de fond. Des écrivains, souvent à compte d’auteur, continuent d’écrire, même quand le lectorat semble se réduire à un cercle restreint d’initiés. Des bibliothèques communautaires dans des quartiers comme Pikine, Guédiawaye ou Saint-Louis résistent, animées par des bénévoles qui savent que lire, c’est aussi apprendre à se penser.
Mais les chiffres peinent à rassurer. En 2023, selon l’ANSD, moins de 2 % des dépenses culturelles des ménages sénégalais sont consacrées aux livres, et près de 60 % des élèves du cycle primaire ne disposent d’aucun livre personnel à la maison. La chaîne du livre souffre d’un cercle vicieux?: tirages faibles, coûts élevés, faible diffusion, et donc faible accessibilité, en particulier hors de Dakar. Même les grandes bibliothèques universitaires fonctionnent souvent avec des collections obsolètes, en décalage avec les programmes contemporains.
Il y a, derrière ce recul, une fracture plus sourde?: celle entre la connaissance et les conditions matérielles de vie. Car lire suppose du temps, de la stabilité mentale, un espace calme. Tout ce que le quotidien des jeunes précaires, des mères surchargées, des élèves mal orientés ou des travailleurs informels n’offre plus.
La lecture ne sauvera pas seule une société. Mais son absence, elle, appauvrit tout?: le langage, l’imaginaire, l’esprit critique. Elle réduit le débat, affaiblit la démocratie, et rend plus vulnérables aux fausses promesses, aux dogmes, à la désinformation.
Que devient un pays qui ne lit plus?? Il perd sa capacité à se raconter autrement que dans l’urgence ou la survie. Il devient plus gouvernable peut-être, mais moins libre. Car sans lecture, il n’y a pas seulement moins de livres. Il y a moins de liens, moins de lumière.

Par: Aïcha FALL