
Hémorragie d’un soleil d’anti-jour de Mohamed Marem Seck, Al Fàruq Éditions, 2025
Prix spécial du jury – Concours de poésie Ibrahima Sall
Je ne m’attendais pas à saigner autant en lisant un poème.
Celui-ci m’a saignée doucement. Vers après vers.
Hémorragie d’un soleil d’anti-jour ne se lit pas, il s’écoute comme un cri étouffé.
Un cri pour la mère, Pour l’ombre, Pour l’Afrique, Pour soi….
Un texte qui brûle lentement, mais sûrement. Qui pleure, qui prie, qui guérit – à sa manière.
Et pourtant, personne ne l’avait vu venir. Mohamed Marem Seck avait déjà publié un roman auparavant. Qui aurait cru que derrière ce romancier discret se cachait un poète incandescent, un artisan de la nuit, un forgeron d’images qui claquent plus fort que les tam-tams de minuit ?
Et le plus drôle dans tout ça ? Même après avoir remporté le prix spécial du jury au concours de poésie Ibrahima Sall, il ne s’est pas arrêté là. Non, monsieur a décidé de reprendre le texte. De repeindre chaque strophe, de sacrifier des nuits, d’écouter des poètes exigeants, et surtout, de faire saigner son poème jusqu’à la dernière goutte. Perfectionnisme ou folie douce ? Sans doute les deux.
Et… c’est réussi.
Hémorragie d’un soleil d’anti-jour.
Avouez, on ne voit pas ça tous les jours. Rien qu’en lisant le titre, on a déjà une migraine poétique.
Un soleil qui saigne et qui en plus refuse le jour ? C’est plus qu’un poème, c’est une énigme métaphysique. On sent que ça ne va pas être une balade de santé.
Mohamed ne choisit pas un titre, il dégaine une image. Une image dense, dramatique, presque théâtrale. Et quelque part, c’est beau. Mais en même temps, c’est un peu comme si le recueil avait décidé de crier dès la couverture, avant même qu’on lui pose une question.
Est-ce que le soleil aurait pu saigner un peu plus discrètement ? Peut-être. Mais bon, quand on a du style, on saigne en majuscules.
Le titre est fort, peut-être un peu trop. Il donne le ton, mais il en dit presque déjà trop. Résultat : les poèmes sont obligés de suivre un rythme élevé dès la première ligne, et ça
les bouscule un peu parfois. Cela dit, il faut le reconnaître, ce titre est une audace poétique… et ça, ça se respecte.
Loin des poèmes classiques qu’on croise à chaque coin de recueil ceux qui dorment bien au chaud dans leurs quatrains et alexandrins bien repassés Mohamed Marem Seck a choisi la liberté, l’insolence, le désordre fécond. Sa poésie casse les vitres et dérange les chaises. Elle joue avec la typographie, bouscule la grammaire, flirte avec la déraison, convoque les dieux et insulte ceux qui ne répondent pas. À la fois griot moderne, prophète halluciné et poète-pyromane, il écrit comme on jette un sort.
Le recueil est une traversée intérieure à genoux, un cri adressé à la mère Yaay – qui devient ici lumière, abîme, univers. Marem Seck ne parle pas à sa mère, il l’appelle, il la pleure, il la prie, il la chante, il la crie en mille langues. Chaque vers est une larme, chaque strophe une secousse sismique.
Mais il ne s’arrête pas au lyrisme. Il bricole des visions, ose la dérision, insulte les dieux muets, fait rire et grincer des dents, invoque Miriam Makeba et Aline Sitoé Diatta dans la même incantation. L’Afrique est partout, brûlante, blessée, vivante.
La langue est baroque, fiévreuse, hallucinée. Marem Seck écrit avec ses veines et sa colère. Il tisse des images folles :
“Le néant, nichoir de mon âme-oiselle”
“La carotte est cuite, or l’air frais”
“Je suis l’arbre qui absorbe toute l’oxygène pour s’étouffer”
Et tu lis ça, et tu ris nerveusement, ou tu pleures, ou les deux.
Le recueil s’ouvre avec ces mots simples et déchirants :
« Si vous n’avez jamais vu mes larmes,
C’est parce qu’elles coulent sur le visage du poème. »
Dès cette première respiration, Mohamed Marem Seck annonce la couleur : celle du sang discret, celle des douleurs muettes qu’aucun oeil ne capte… sauf celui du lecteur attentif (et un peu sensible, avouons-le). Le ton est donné : ici, la poésie n’est pas une posture, mais un exutoire vital.
Pourquoi c’est fort ?
Parce que c’est sobre. Parce que c’est nu. Parce que c’est vrai.
Et surtout parce que ça n’a pas besoin de grand discours pour faire mal. Deux lignes, et tout tremble déjà. Comme quand tu te cognes le petit orteil dans le meuble et que tu jures en silence mais en pire.
En somme, Hémorragie d’un soleil d’anti n’est pas juste un recueil de poèmes, c’est une masterclass en émotion où Mohamed Marem Seck nous rappelle que pleurer sur du papier, ça fait moins de dégâts que sur le canapé (et c’est tout aussi efficace).
Chaque poème est une petite piqûre au coeur, mais rassurez-vous, ça fait du bien un peu comme quand on enlève un pansement, ça pique un instant, mais après, on respire mieux.
Alors si vous voulez découvrir un poète qui sait faire couler les larmes… sans mettre de mouchoirs à portée de main, ce livre est fait pour vous. Allez, foncez l’acheter, et préparez-vous à vivre une expérience poétique qui ne laisse pas indemne… ni votre sens de l’humour !
Saignons donc avec lui, mais lançons aussi un appel à tous les autres poètes : creusez, fouillez, peaufinez vos vers, car la poésie, c’est avant tout un art qui mérite patience, travail, et un soupçon de malice.
Preitty writer
Pikine, le 4 juillet 2025 3h 40
