
À l’ouverture de la 4e édition du Festival international de littérature de Dakar (FILID), le Vice-Président de l’Association des Écrivains du Sénégal, Seydou Sow, a livré un vibrant plaidoyer en faveur du livre et de la lecture, saluant le rôle essentiel de la littérature dans le développement des sociétés. Entre hommage appuyé à Abdoulaye Fodé Ndione, promoteur du festival, reconnaissance envers les artisans du livre comme Ibrahima Lô, et émouvant souvenir du regretté Alioune Badara Bèye, ce discours a marqué les esprits par la profondeur de sa vision et la noblesse de ses mots. Le FILID s’y affirme non seulement comme un espace de célébration, mais aussi comme un acte de résistance culturelle et une promesse pour les générations à venir.
Mesdames, Messieurs,
Chers invités,
Chers confrères et consœurs de la grande famille des lettres,
Je prends la parole au nom de l’Association des Écrivains du Sénégal et sous l’autorité du Président Abdoulaye Fodé Ndione, déjà engagé dans l’organisation exigeante de ce quatrième FILID qui nous réunit aujourd’hui. Mesdames et messieurs le Filid est devenu maintenant une réalité bien ancrée dans notre agenda culturel grâce à l’excellence d’une vision, à la constance d’un engagement et à la discrète générosité d’un homme dont les lettres sénégalaises peuvent être fières. Fodé Ndione, qui en est le promoteur, est bien plus qu’un écrivain de talent, un éditeur d’exception. Fodé est une conscience en vivacité, une force tranquille, tout entièrement dédié à la culture. Il se bat, avec la patience des bâtisseurs, pour hisser haut I ‘étendard de la littérature sénégalaise et africaine.
Faut-il rappeler que sa grandeur d’âme, ce respect profond de l’autre qui transparaît dès le premier contact, lui a valu, à maintes reprises, d’être choisi pour présider des associations d’hommes de lettres ?
Le voici aujourd’hui à la tête de l’Association des Écrivains du Sénégal. Et c’est avec nos plus sincères bénédictions que nous lui renouvelons ici nos félicitations, tout en formulant des vœux ardents pour la pleine réussite de cette mission noble et exaltante.
Que dire de ces distinctions prestigieuses, reçues tant au plan national qu’international ? Et last but not least, son élection à l’Académie Léopold Sédar Senghor en Italie fait désormais de lui un jeune académicien, à qui I ‘Afrique littéraire peut s’identifier.
Mais je dois avouer que sa modestie— cette rare vertu qui ne fleurit que dans les grandes âmes —m’avait interdit de m’étendre sur ses qualités. Il m’avait dit : « Tu parleras au nom de l’association, mais ne t’attarde pas sur ma personne ! » Évidemment, j’ai été peu obéissant. Toutefois, je suis obligé, au risque de me faire tirer les oreilles par les autres membres de notre prestigieux bureau, d’être respectueux vis-à-vis de mon président, moi qui en porte les vices. Alors parlons de ce qui nous réunit cet après-midi, de ce Filid, qui est en passe de devenir un levier essentiel pour la promotion du livre et de la lecture. Le livre, un outil stratégique dans l’élévation intellectuelle, l’épanouissement des peuples, et l’essor véritable des nations. Le livre est ce silencieux agent de transformation sociale, ce compagnon fidèle de la liberté intérieure, et, de surcroît, un vrai passeport vers l’évasion et la découverte de ces différences qui nous rapprochent au-delà de nos diversités culturelles et linguistiques.
Le thème de cette quatrième édition, « Développement par la culture : la place du livre y, est d’une lucidité remarquable. Il ne s’agit pas d’un slogan, mais d’une profonde interpellation. Nos sociétés, à peine sorties de l’oralité, peinent encore à accorder au livre la place qui lui revient. Pourtant, dans l’ordre de la pensée, dans la construction des imaginaires, dans la maîtrise du temps long, le livre demeure irremplaçable.
Mais il faut le reconnaître : le livre est un médium solitaire et discret. Contrairement à la musique, qui envahit, s’impose, subjugue même quand on tente de lui résister, le livre, lui, se tait. Il ne réclame rien. Il attend. Il attend qu’un regard daigne le caresser, qu’un esprit s’ouvre à lui. Et cette attente devient solitude dans nos contrées ou il ne dispose pas des chaînes qui assurent ailleurs sa diffusion et sa survie : rareté de bibliothèques aussi bien municipales que nationales, distribution indigente, maillage éditorial encore embryonnaire, critiques littéraires trop rares et parfois inaudibles. Le livre se débat, mais il ne crie pas. Il est rapidement relégué dans les rayons poussiéreux de quelques bibliothèques, faute de lecteurs, d’espaces accueillants, et d’une véritable dynamique culturelle qui en assure la vitalité. C’est pourquoi ce festival n’est pas une simple célébration : c’est une résistance. Une reconquête. Il incarne l’une des rares fêtes du livre dans un environnement ou la flèche du développement semble désigner d’autres priorités. Et c’est ici que je voudrais exprimer toute la reconnaissance de nous autres, artisans du livre, à un servant généreux et inlassable, un authentique militant du livre et de la lecture : M. Ibrahima Lô. Grâce à son engagement déterminé et à toutes les initiatives qu’il a portées à travers les CLACS — les Clubs de Lecture et d’Animation Culturelle du Sénégal — une nouvelle génération de lecteurs se forme. Des amoureux convaincus, plus qu’ardents pour la lecture, se lèvent dans les régions, dans les écoles, dans les quartiers. Et cela nous redonne espoir et confiance que nos sociétés changeront bientôt par l’intermédiaire du livre.
Car la lecture, plus que jamais, fortifie les esprits, nourrit l’âme de valeurs et de noblesse. C’est pourquoi le livre doit devenir une réalité de vie, une réalité de société, une réalité dans toutes les familles, une force de persuasion sur le mal et le vice. Un peuple qui lit est un peuple qui gagne dixit Nelson Mandela
Mesdames et Messieurs,
Je ne saurais clore mon propos sans évoquer une absence qui nous étreint tous. Cette édition du Filid se tient sans la présence charismatique de M. Alioune Badara Bèye, ancien président de notre association, homme de lettres accompli, conscience tutélaire des écrivains du Sénégal, arraché à notre affection par cette violente qui triomphe comme le dit si justement Cheikh Hamidou Kane dans son livre « l’aventure ambiguë . M. Bèye considérait ce festival comme son propre enfant. Ce soir, son regard, son sourire, sa parole pondérée nous manqueront cruellement. Mais son esprit, lui, est là. Dans chaque mot prononcé ici. Dans chaque livre ouvert, chaque vers récité, chaque pensée partagée. Car nous croyons fermement aux paroles de Birago Diop : les morts ne sont pas morts.
Qu’il repose en paix, lui qui a tant œuvré pour que la parole écrite ne meure jamais. Et il aimait nous rappeler le vieux dicton grec « Verba volant, scripta manent » autrement dit : « la parole s’envole, l’écrit demeure ».
Il nous revient désormais, par une action mesurée, lucide et constante, de relever les défis qui s’imposent à notre rayonnement littéraire et culturel à l’échelle du monde. Il nous appartient de prendre pleinement notre place à la table du « donner et du recevoir », selon la belle expression de Léopold Sédar Senghor. Et, brandissant nos romans, nos pièces de théâtre, nos recueils de poèmes et de nouvelles, nous proclamons fièrement devant toutes les nations : voici notre sillon dans la vaste trame de la production littéraire et culturelle universelle.
Oui, il nous revient de poursuivre le chemin des gardiens du temple, de porter haut le flambeau, de veiller avec vigilance à ce que le livre, malgré les vents contraires, demeure ce qu’il n’a jamais cessé d’être : un ferment de liberté, un levier de civilisation, un appel profond à I ‘humanité partagée.
Et ce Filid — ce Festival international de littérature de Dakar — est, à n’en pas douter, l’une des voies les plus fécondes pour y parvenir.
Je vous remercie.
SEYDOU SOW
Discours du Vice-Président de l’Association des écrivains,
À l’occasion du 4e Festival international de littérature de Dakar
