(À la mémoire de celle qui a toujours cru à la pertinence d’une certaine idée de Fleuvitude pour la postérité. Pour l’espoir.)
En ces temps d’incertitudes notoires, où toutes les certitudes questionnent leurs propres certitudes, en passe de s’éclater toutes au vol,… s’il y a une valeur sûre, qui mieux nous renseigne sur le cours de nos vies sur terre, c’est bien le Fleuve. La vie n’étant pas un long fleuve tranquille, mais un Fleuve tout de même, avec des hauts et des bas, sur son cours, long ou court, comme l’a été la vie de Sony sur terre, passée comme un météore, à quarante sept ans d’âge… revêtue de la puissance du Fleuve pourtant…
Le Fleuve peut être perçu comme une sécurité intérieure sûre, une force tranquille (qui peut se mettre en colère!) grâce à la certitude de ses deux rives, qui, ma foi, enracinées et indéboulonnables, lui resteront toujours loyales jusqu’à la fin des temps. De ce fait, son insécurité est vite minimisée, grâce à la sécurité que peut procurer l’une ou l’autre de ses deux nobles compagnes, ces rives royales, les deux piliers de son royaume. Dire que l’illustre Sony Labou Tansi a eu l’ingéniosité intellectuelle de relever cela, ce serait peu le saluer… en cette année de commémoration des vingt-huit années de sa disparition de la terre : le reconnaître comme étant la Fleuvitude personnifiée, c’est, pour nous, mieux faire… pour l’aède iconoclaste qu’il a été durant toute sa vie d’artiste-écrivain dramaturge, sans nid, la boue transie, avec le verbe haut, dans les denses vagues et les puissants mascarets du Fleuve.
» Si vous voulez être en sécurité, n’hésitez pas à traverser le Fleuve. L’autre rive est assez praticable à mon avis. Mais il faut faire vite. » conseillera-t-il à tous, en fin connaisseur généreux des atouts du Fleuve, face à la mer d’incertitudes de notre temps : « Nous sommes une époque où le soleil même peut tomber en panne ». Relevera-t-il d’ailleurs, visionnaire, un jour.
En effet, pour mieux percevoir la portée de cette vision de Fleuvitude fort laboutansienne, il suffit d’aller questionner l’Histoire des Noirs, sur le Nil ; l’Histoire des Noirs esclaves sur le Mississippi ; ou encore, plus proche de nous, l’Histoire du Fleuve Congo avec ses peuples sinistrés fuyant la Guerre.
Qui plus est, cet écrivain puissant, en Poète, a toujours considéré le Fleuve Congo comme une personne, faisant de lui-même un Fleuve, un torrent de mots et de maux, voire de boue, faite chaire, d’une rive à l’autre de Nzadi, comme le Fleuve qui charrie tout sur son passage, tout serein ou révolté. N’a-t-il pas dit, révolté dans les mots, que « Le mensonge met le Fleuve en colère. » ? Comme le Fleuve, Sony Labou Tansi ne s’est jamais menti à lui-même, encore moins n’a fait mentir les mots, il les as tous fait parler et laisser dire, par eux-mêmes, parler eux-mêmes, parler d’eux-mêmes et des temps… dans leur propre langage… sans leur demander non plus de mentir sur lui face aux hommes… Que ce soit dans ses peintures rocambolesques des dictateurs politiques ou dans ses dramaturgies sociétales en cascade ou en rocade, avec ses fontaines célestes, dénommées Rocado Zulu…
Pour lui, faisant fi des dictateurs et leurs dictatures, le Fleuve Congo a toujours été et demeurera un Prince en son royaume, comme lui même a toujours été et est entré Fleuve dans l’Histoire : comment pouvait-il seulement pérorer longuement sur le Fleuve le long de son œuvre quand lui-même a été le Fleuve en personne ? La Puissance majestueuse de son œuvre complète, qui transcende des vies, reflète la Puissance même de son Fleuve ; si bien que la postérité n’a fini par mieux l’apprécier qu’après le départ de son auteur vers les contrées de Pemba, en Lumbemba, de la même manière que les ressortissants des deux rives de son Fleuve peinent toujours à réaliser l’impact de ce Fleuve sur leurs imaginaires collectifs, définis aujourd’hui par une dynamique nommée Fleuvitude.
« Nul n’est prophète chez lui », pourrait-on dire de Sony Labou Tansi ? Cependant, qu’en est-il de la puissance de ses écrits aujourd’hui ?… Ce n’est pas parce qu’on ne l’a pas reçu comme tel que les mots du prophète perdent de leur puissance. Que nenni !
Mieux vaut être prophète tout de même qu’un médecin après la mort ; car, les mots du prophète permettent toujours de se mettre à l’abri face aux dangers à venir… : Tous ceux qui ont fait l’Histoire ont descendu le Fleuve; découvrons, nous, l’Histoire, en remontant le Fleuve. Par un retour aux sources. Pour aller boire à la source : à la source des vies, à la source de l’Histoire… Sachons reconnaître les prophètes de leur vivant, du moins leurs paroles prophétiques, cela nous réveillerait tous et nous prémunirait mieux des obscurantismes ambiants et des cruautés humaines, mieux poétisés par un autre brillant aède aux paroles prophétiques toujours pas découvert à ce jour dans la galaxie culturelle des terres de Sony, à savoir, Léopold Congo Mbemba, qui a bien su nous gratifier d’un puissant message poétique avant que de prendre congé de notre Terre-patrie lui aussi, il y a dix années de cela : « Nous n’espérons pas la mort d’autrui pour avoir matière à chant, nous militons pour la vie. Nous voulons les gens, même ceux que nous combattons, vivants plutôt que morts. Nous préférons la vie des gens au poème qu’on écrirait à leur mémoire. », dit-il, avec beaucoup de noblesse d’esprit, s’il vous plaît !
Il serait donc peu fructueux pour l’esprit de suivre le conformisme hégémonique de tous ceux qui voudraient imposer leur approche des choses à la diversité des cultures et des littératures, comme des courants de pensée… en visant la domination, l’uniformisation et l’uniformité du monde dans leur ruse du politiquement correct… et de l’idéologie dominante, que dis-je, caporale ou suprématiciste. Car, tous les goûts sont dans la nature, et, normal, le plus naturellement possible sur la terre des possibles, que ce que les uns encensent ne soit pas forcément du goût des autres… différences et écarts culturels obligeant.
Pour sa part, la Fleuvitude, comme courant de pensée, ne s’impose à personne mais se propose à tous… dans le sillage de la liberté de vivre qui lui est intrinsèque et demeure et demeurera son champ de prédilection, en se définissant, à minima, comme étant l’art de l’équilibre… ou encore le retour aux sources, le juste retour dans l’ordre des choses, mais aussi comme étant une description des réalités plurielles des confluences et des synergies universelles, propres aux êtres vivants, qui voudraient exprimer avec art et naturel leurs plus fortes aspirations pour l’harmonie naturelle entre les êtres humains, tous ayant en commun le sang rouge qui coule dans leurs veines, en plus d’avoir une seule et même patrie, la vie, avec la terre comme Mère-Patrie, en dignes compatriotes de la VIE.
Et, comme disait, Sony, enfin : « C’est l’art qui aura le dernier mot. », et non les hommes, ajoutons-nous.
Puissent les mots dire et saluer : Marcel Nsoni (1947-1995), dit Sony Labou Tansi, la Fleuvitude incarnée, ou le Fleuve de l’espoir…
À Fleuvitude ouverte
Pensées meilleures
Editions de la Fleuvitude
Post-scriptum :
70 ans de la Littérature Congolaise
JE SUIS DEVENU UN CONGO
Pour les Amis lecteurs qui voudraient aller plus loin dans nos hommages à Sony, les livres Par les temps qui courent, Negritude et Fleuvitude, L’Appel du Fleuve, Boire à la Source, vous serviront.