
Bien cher M. Fall,
J’ai lu votre dernier ouvrage avec un plaisir renouvelé. La Complainte du Manguier (2025) vient clôre, partiellement je l’espère, la longue liste de vos riches publications, tant du point de vue de la créativité esthétique que de la densité thématique.
Cet opus – que vous soumettez à l’appréciation de vos lecteurs assidus, je suis fièrement un, – trahit les préoccupations, légitimes, et très en prise sur l’instant présent, d’un acteur de l’éducation qui a cru devoir puiser dans le fond de ses souvenirs/ sa mémoire ( de retraité) quelques faits marquants de son brillant parcours professionnel, pédagogique, pour en faire la matière d’une œuvre dont le statut générique reste, comme vous nous y avez habitué depuis, au moins, Blessures d’amour, à déterminer. C’est cela la signature désormais, en tant qu'<<écrivant>>, que vous apposez implicitement ou explicitement à votre auguste œuvre qui se dote, pour ainsi dire, d’une identité sui generis, faisant tout son charme. Le TGNI, texte d’un genre non identifié, que vous théorisez magistralement dans Faracini, est, et devrait être, le terminus ad quem de la production littéraire contemporaine ; elle réfléchit mieux cet entrelacement des mondes, des cultures, des idées, des êtres…
Puisque l’on ne peut qu’écrire dans…, avec… et à partir du monde, la juste et meilleure littérature ne serait-elle pas celle qui, dans ses propriétés compositionnelles, rend compte de la <<Relation>>, pour employer un terme glissantien? Relation donc des genres désormais décloisonnés, comme l’illustrent vos textes.
Pour en venir à l’ouvrage prétexte de mon propos, je commencerai par noter la charge pédagogique qu’il draine et qui signifie, dans le même mouvement, votre ardent souhait de réforme de l’école sénégalaise. Celle-ci, au regard du décalage subsistant entre la réalité des apprenants et l’offre pédagogique proposée, nécessite une thérapie de choc dont la finalité serait de repenser ses objectifs avoués ou tacites. C’est bien dans ce cadre que vous évoquez le besoin de <<décoloniser>> l’école, élément fondamental que vous retenez dans la série des trois conditions à mettre en œuvre afin que << l’ école du Toubab devienne une école sénégalaise ouverte sur le monde>> ( p. 151).
L’idée est noble, mais ne risque-t-elle pas de se heurter à frilosité des décideurs, plus enclins à copier des modèles, s’ils ne s’enlisent pas dans le traditionalisme rédhibitoire d’un système hérité de la colonisation dont les préoccupations se trouvent être à mille lieues de nos attentes. Les opérations de greffe ne marchent pas toujours, on le sait.
Vous ne manquez pas, dans cet exercice, de théoriser l’avènement d’une école nouvelle, ancrée dans nos réalités, tout en ne vous gênant pas, au détour des pages, de décrier les comportements, on ne peut plus déplorables, de certains collègues, qu’ils soient administratifs ou enseignants en activité, qui paraissent perdre de vue la noblesse de la mission leur étant assignée.
La Complainte du Manguier est, au plan esthétique, une œuvre-synthèse en ce qu’elle porte, en elle-même, les traces de vos textes antérieurs mettant à jour une démarche autoréflexive. Vous y faites place à une sorte d’autotextualité ( voir Kristeva) faisant de l’œuvre en question un discours-tiroir à l’image des poupées russes, dont la découverte de chacune d’elle signale l’existence ou la coprésence d’une autre.
Ce jeu de l’écriture est proprement novateur et réjouissant pour nous autres quêteurs de sens, qui sourions aux occurrences de chaque biographèmes ( Barthes) installant en nous la conviction que votre prose n’est jamais loin de votre personnage. Mais, Je est un Autre, disait Rimbaud. Cet autre, c’est peut-être la figure du poète, du dramaturge, du romancier, de l’essayiste, du conteur… que ce texte, par petites touches, dévoile comme pour rappeler au lecteur que La Complainte du Manguier n’est finalement que la métaphore que file l’auteur dans le vaste chantier d’une <<écriture inventionniste>> au service savoir.
Savourons ses fruits tout en nous gardant de le vouer aux gémonies.
Aliou SECK
Professeur à l’UCAD.