Amina Seck, romancière et scénariste sénégalaise, incarne une figure incontournable de la littérature et de la culture féminine au Sénégal. Grâce à ses écrits captivants et à son rôle de pionnière en tant que fondatrice du Salon du Livre Féminin de Dakar, elle se révèle comme une voix puissante et influente pour exprimer les réalités profondes des femmes.
Propos recueillis par Babacar NDIAYE Korjo
Pourriez-vous nous parler de votre parcours en tant que romancière et scénariste ? Quelles ont été vos principales sources d’inspiration et motivations pour vous lancer dans ces domaines ?
J’ai commencé mon parcours il y a plus de 20 ans, bien avant la publication de mon premier roman, « Mauvaise Pente », en 2017, suivi de « Martyr Luther Queen » (un ouvrage collectif initié par Kemit) en 2019. Le troisième ouvrage peine à sortir en raison de mes nombreuses activités. Parmi les multiples professions du cinéma, j’ai opté pour le métier de scénariste, considérant qu’il est à la base de tout bon film ou série. Je m’y sens à l’aise. Après un film d’atelier intitulé « Impure » sur les mutilations génitales féminines et plusieurs formations, j’ai accumulé les contrats avec des maisons de production nationales et internationales. Je suis également impliquée dans la réécriture de projets cinématographiques. L’écriture, qu’elle soit cinématographique ou littéraire, est avant tout un besoin pour moi, avant de devenir une passion. Mes motivations sont multiples, mais en tant que militante engagée pour les droits des femmes, j’ai trouvé dans ces deux formes artistiques, qui unissent le verbe, un moyen de m’exprimer librement.
Vous êtes à l’origine du Salon du Livre Féminin de Dakar. Comment cette initiative est-elle née et quelles étaient vos aspirations lors de sa création ?
Le Salon du Livre Féminin de Dakar était un élément d’un projet plus vaste pour un festival d’art dédié aux femmes. Comme tout grand projet nécessite des moyens conséquents, il a fallu débuter par quelque chose que je maîtrisais. Tout a commencé avec mon expérience personnelle où j’ai dû me battre pour me faire une place dans ce milieu, car personne d’autre ne l’aurait fait à ma place. Au Sénégal, en Afrique et dans le monde, nous avons des autrices qui ont écrit et continuent d’écrire des œuvres magnifiques, de grande qualité et aux récits bouleversants. Certaines y ont mis toute leur âme, tandis que d’autres ont subi des critiques attaquant leur dignité de femme pour avoir simplement exprimé leurs idées. Pour répondre à la question « Qui sont toutes ces femmes écrivaines ? Et où vont toutes ces œuvres écrites par des femmes inconnues ? », le Salon du Livre Féminin de Dakar a vu le jour. Il était temps de créer un espace pour mettre en lumière ces femmes. Qu’elles soient à Dakar, à Singapour ou ailleurs, elles méritent d’être reconnues et de marquer leur époque en tant que créatrices.
Dans le contexte culturel du Sénégal et au-delà, quel rôle joue, selon vous, un salon du livre exclusivement dédié aux femmes ?
Comme tout salon littéraire dans le monde, le Salon du Livre Féminin de Dakar vise d’abord à réunir les acteurs du livre autour de thématiques soigneusement sélectionnées. Cependant, contrairement aux salons mixtes, les discussions et débats sont menés par des femmes pour mettre en valeur leur talent littéraire et faire entendre leurs voix.
Comment percevez-vous le paysage littéraire féminin au Sénégal et en Afrique ?
Alors que certaines critiques accusent les femmes de se victimiser trop souvent dans leur production littéraire, des centaines d’ouvrages écrits par elles-même émergent chaque année, investissant le paysage littéraire avec des œuvres remarquables. À mon avis, toutes ces œuvres se valent, et je me réjouis de voir ces femmes refuser de se taire. Il est temps de passer outre les critiques pour se concentrer sur l’accompagnement. Nous avons besoin de maisons d’édition qui croient au potentiel des femmes, des maisons qui respectent les normes éditoriales et œuvrent pour la promotion d’une littérature forte. Ensemble, nous y parviendrons certainement !
Quelles sont les opportunités et les défis auxquels les autrices sont confrontées ?
Comme dans tous les domaines artistiques, les femmes rencontrent des inégalités parfois absurdes. Cependant, elles ont de multiples opportunités. Rien que le fait d’être autrice, de donner voix dans nos sociétés où les femmes sont souvent réduites au silence, est une grande victoire. Résister à travers les mots reste une opportunité que celles qui n’écrivent pas ne peuvent avoir. En ce qui concerne les défis, elles n’ont rien à prouver à qui que ce soit, si ce n’est pour leur propre avancement en tant que femmes.
Votre travail explore-t-il des thèmes spécifiques liés aux femmes et à leurs expériences ? Seriez-vous en mesure de partager quelques exemples de vos projets littéraires et scénaristiques ?
À l’exception de quelques commandes, tous mes projets traitent de thèmes liés aux femmes. « Mauvaise Pente » aborde le refus de paternité, « Impure » les mutilations génitales féminines et « Martyr Luther Queen » retrace la vie et l’œuvre d’Aline Sitoé Diatta. C’est également le cas pour mes projets actuels. Je ne peux malheureusement pas dévoiler de détails sur les projets commandés.
Comment votre passion pour l’écriture et la culture a-t-elle évolué au fil des années ?
Pour revenir à ma passion initiale, j’ai dû quitter une carrière confortable et avantageuse dans les Télécoms. Mon intérêt pour l’écriture et la culture a grandi en fréquentant les artistes et les événements culturels, mais surtout en me formant et en travaillant dur. Cette évolution peut sembler aléatoire, mais je l’attribue en grande partie à mon amour inconditionnel pour la création, les arts et les artistes. Il est important de reconnaître que la passion pour les arts seule ne fait pas forcément l’artiste, il faut aussi travailler dur.
Y a-t-il des moments ou des projets qui ont particulièrement marqué votre parcours ?
Oui, je me souviens encore des sourires sur les visages comblés des femmes lors du Salon du Livre Féminin de Dakar. Pour le reste, je travaille à y parvenir !
En tant que voix influente dans le domaine culturel, quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes autrices et artistes qui aspirent à faire une différence à travers leur travail ?
Je leur dirais qu’elles ont leur place partout où elles souhaitent être. La croyance en soi doit être leur principale motivation. Le reste appartient à Dieu.
Votre dernier mot ?
Avant de conclure cet entretien, je tiens à préciser que ce salon exclusivement dédié aux femmes à Dakar n’a pas pour objectif de genrer la littérature. La littérature reste la littérature, mais dans cette littérature, il y a celle des femmes qui mérite d’être valorisée. Je remercie les partenaires du Salon sans qui rien ne serait possible. Ils ont cru dès le départ au projet. Pour la première édition, nous avons obtenu des subventions de la Ville de Dakar, du ministère de la Culture et du Patrimoine Historique à travers la Direction du livre et de la lecture, de l’institut Français de Dakar. Ces partenaires ont renouvelé leur engagement pour la 2e édition aux côtés du Goethe-Institut Sénégal, de la Sonatel (Orange Digital Center) et de la Banque de l’Habitat du Sénégal. Je remercie également les deux premières marraines, Mme Marietou Mbaye (Ken Bugul) et Mme Awa Sene Sarr. Merci aux éditeurs et aux exposants. Je tiens à remercier mes amis entrepreneurs qui ont accepté d’associer leur marque au Salon. Je remercie également toute l’équipe de « Les Cultur’elles » et un grand merci aux nombreux intervenants. Rendez-vous est donné pour la prochaine édition du Salon du Livre Féminin de Dakar en octobre 2024.