Introduction.
Il est rare de rencontrer une œuvre d’art dont la toute première publication offre à son auteur une aussi surprenante célébrité que celle dont jouit Kourouma. En effet, parmi les écrivains qui ont bénéficié de ce suffrage du grand public, Ahmadou Kourouma figure en bonne place. C’est justement pour comprendre la raison de cet état de fait que je poste cette publication dont l’humble analyse provient moins d’une documentation, à l’image de celle pointilleuse que tout le monde peut lire sur des moteurs de recherche tels que Google par exemple et à portée de main, que de ma relecture tout à fait personnelle de ce roman considéré comme son chef-d’œuvre : Les Soleils des indépendances. J’espère que la lecture que vous en ferez, ajoutée à la vôtre du roman et de vos documents glanés ça et là le concernant, constituera un plus-value qui vous enrichira davantage… Je propose cette étude thématique analysée sous l’angle des personnages en premier lieu et puis du cadre spatio-temporel en second lieu.
- THÉMATIQUE DES PERSONNAGES.
En général, dans une œuvre d’art, réels ou fictifs, les personnages sont très souvent des porteurs de pensées. Dans le roman de Kourouma, à partir de leur caricature, en les singularisant ou en les catégorisant, il est possible d’y découvrir, sous leur enveloppe, des thèmes artistiquement dissimulés.
A. FAMA ET LA CHEFFERIE.
En malinké, il paraît que »fama » signifie »chef ». Celui-ci est le personnage principal, donc le plus en vue et, surtout, le moteur principal du récit, le héros de l’action, d’amont en aval. Mais dans l’œuvre, est-ce que ce rôle lui est vraiment dévolu ? Il y mène une vie de subalterne en politique et de pitance au sein de la communauté, en arpentant les ruelles qui conduisent aux lieux où s’organisent les funérailles, pour glaner ça et là quelques menues monnaies ou de maigres richesses que les morts laissent derrière eux : une vraie vie de charognard. Pire encore, Fama Doumbouya risque de ne pas être en mesure de perpétuer sa lignée dynastique puisque sa femme Salimata est stérile. C’est donc, à peu près comme dans Le dernier des Mohicans de James Fenimore Cooper, le thème de la déchéance que cet antihéros incarne jusqu’à l’os à la suite des indépendances, dans son vécu quotidien comme après sa mort accidentelle.
B. SALIMATA ET LA STÉRILITÉ.
Il s’agit de l’épouse de Fama. Une photographie de surface la présente comme une femme belle à ravir, irrésistible, pétrie de toutes les qualités requises d’une épouse traditionnelle vertueuse. Pourtant, une observation plus attentive de ses expériences malheureuses de la vie, à cause de sa crédulité ou de son trop-plein de confiance, autorise à l’assimiler au sort de l’Afrique généreuse dans sa richesse luxuriante (les ressources naturelles) mais spoliée par des bruts de tout acabit (les colons et les nouveaux dirigeants), dépouillée de ses biens (le vol), meurtrie au plus profond de sa chair (le viol et l’excision). C’est comme, par intertextualité, ce qu’en dit le Haïtien René Depestre dans »Minerai noir ». Pour preuve, c’est pendant la viduité de Mariam, au moment où il avait le plus besoin d’une compagne qui lui assure la transition, le prolongement de la dynastie des Doumbouya, que Fama mourut, comme une Afrique au beau milieu d’un espoir déçu.
C. LES GUÉRISSEURS ET LA CROYANCE.
C’est d’abord Tiécoura et puis Abdoulaye ; le premier est féticheur (croyance animiste), le second, un marabout (croyance religieuse). Tous les deux ont un point commun : la tartufferie. Mais c’est aussi, au-delà de cette dimension de fausse dévotion par laquelle passent ces esprits tordus et malintentionnés, pour aboutir à leur fin ou leur faim : la satisfaction d’un plaisir charnel unilatéral. Menteurs comme des arracheurs de dents, ils constituent le symbole vivant des ennemis de l’extérieur, c’est-à-dire les Blancs colonisateurs avec leur fallacieuse mission pacificatrice et civilisatrice, comme ceux de l’intérieur agissant en toute impunité, à l’image des nouveaux dirigeants africains qui usent et abusent de leur pouvoir autoritaire sacro-saint).
D. LES GRIOTS ET LA TRADITION.
Ils se résument autour de deux personnages : Balla surtout mais Diamourou aussi. Tous les deux promeuvent la préservation de la culture. Mais on a l’impression que ces détenteurs de la tradition échouent malgré tout l’effort consenti. D’ailleurs, comme le sort de Cassandre, ils n’ont plus autant de considération qu’auparavant ; leur crédibilité est bafouée et leurs prédictions méprisées. Même Fama, mis à part le fait qu’il se sent revigoré chaque fois qu’on loue la valeur de ses ancêtres ou qu’on vante son statut de chef de la dynastie des Doumbouya, est insensible à leurs imprécations. C’est à croire qu’ils baignent tous dans un halo de déchéance culturelle, à cause des indépendances.
Finalement, et c’est justement l’objectif de cette entrée en matière par les personnages, le défilé de ces »êtres de papier » dit-on laisse transparaître, en raison de leur statut, de leur rang, de leur position, de leur profession, et même de leur attitude, des thèmes qui structurent l’œuvre entière et dont le maître-mot est le désenchantement causé par l’arrivée des indépendances.
- THÉMATIQUE DU CADRE SPATIO-TEMPOREL.
Cette thématique se distille pareillement dans le temps du récit, aussi bien à travers le climat, dans l’alternance du jour et de la nuit, que dans l’espace, comme le justifie la dichotomie entre la ville et la campagne.
A. LE CLIMAT.
C’est, en quelque sorte, l’atmosphère météorologique métronome qui règne dans le roman telle que les précipitations, le vent, la température, l’alternance des saisons… Étonnamment, ce climat géophysique au sens propre est toujours en parfaite conformité avec l’atmosphère morale, la condition de vie au sens figuré qui, en elle-même justement, donne vie à l’oeuvre. Par exemple, c’est lorsque de fortes précipitations pluviales se sont abattues que le héros peste contre ses ennemis lors des funérailles qu’il quitte sans aucune civilité ; c’est lorsqu’il faisait du vent que Salimata se voit dépouillée de tous ses biens au marché ; c’est en période de forte canicule que Fama fut incarcéré ; enfin, que la saison corresponde à la sécheresse ou à l’hivernage, rien n’augure de bons auspices, d’amont en aval. Donc le climat est une métaphore déterminante dans la thématique du roman : on y suffoque dans une totale désolation.
B. La nuit et le jour.
Même l’alternance entre la nuit et le jour suscite cette constante remarque chez le lecteur. Les seules périodes de moindre mal du jour et de la nuit ne se passent à aucun moment dans la capitale mais quelque peu à Togobala, encore que même dans ce soi-disant »havre de paix », si ce ne sont pas les poux et les punaises qui rendent très inconfortable le lit mis à la disposition de Fama, ce sont les plus noires pensées auxquelles le héros est en proie jusqu’à en perdre le sommeil. En un mot, pendant le jour, le mal, le malheur, la terreur,… sont visibles ; pendant la nuit, ces démons refont surface dans les esprits et deviennent aussi bien belliqueux, imaginaires que presque palpables.
C. La capitale (la ville) et le village (Togobala).
Ce qui rend la capitale absolument homogène, c’est son universalité, comme dans Ville Cruelle de Ezza Boto, ou dans Le Vieux Nègre et la Médaille de Ferdinand Oyono, ou encore même dans Cercle des Tropiques de Alioum Fantouré… Elle symbolise la capitale de toutes les colonies devenues indépendantes. Si ce n’est pas la violence qui y règne constamment symbolisée par la grogne du peuple accompagnée de sa répression, c’est la précarité,celle-là même qui pousse Fama à ce qu’on peut considérer comme une vie de charognard : se nourrir des restes d’un mort pour survivre, l’insalubrité à chaque sortie de Fama, la démagogie représentée par la carte d’identité, la rapacité métaphorisée par le vol des biens de Salimata… On peut même oser dire que le romancier s’est inspiré de sa propre vie d’alors, sous le prétexte du regard porté par Fama sur les malheureux événements dont il a été témoin, qu’il en soit acteur ou victimaire.
Cependant, cette vie chaotique est à l’opposé de l’atmosphère tranquille qui règne dans Togobala. C’est le seul endroit où Fama trouve de la quiétude, la promesse d’une félicité, un moment de méditation et le rehaussement de son statut précaire. Cet espace symbolise le retour aux sources, la vie d’avant les indépendances, le respect voué aux cultes. C’est pourquoi d’ailleurs Fama a décidé d’y retourner, malgré l’interdiction formelle et prophétique de son griot, pour finir ses jours dans une absolue sérénité à laquelle un mort a droit.
Conclusion.
La thématique est l’ensemble des thèmes conscients ou inconscients, personnels ou collectifs, et dont la récurrence suscite une dynamique dans l’oeuvre d’art ; dans le roman de Kourouma, les personnages ou encore le cadre spatio-temporel peuvent constituer une porte parmi plusieurs autres pour découvrir, au bout du tunnel, une panoplie de thèmes qui structurent le récit.
La publication suivante parlera du style assez particulier de ce roman.
Issa Laye Diaw
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