Au pays de Senghor et Birago, où les mots ont longtemps chanté l’âme d’un peuple, Ibrahima Lo veille sur une promesse : celle de rendre le livre accessible, vivant, essentiel. Directeur du Livre et de la Promotion de la Lecture, il parle de bibliothèques comme on parle de refuges, d’une Bibliothèque nationale comme d’un phare pour la mémoire, et d’auteurs sénégalais qui portent haut la voix du pays dans les salons du monde. À l’approche d’un Forum national crucial, il nous confie une vision généreuse, nourrie d’humanité, où la lecture devient acte de justice et de lumière.




L’accessibilité du livre reste une préoccupation majeure. Que fait concrètement la Direction du Livre pour rapprocher le livre du citoyen, notamment à travers les bibliothèques ?

Votre question interroge l’une de nos missions essentielles. Nous travaillons à soutenir puis à promouvoir le bon livre. Mais comme disait un Ministre de la Culture, il faut œuvrer pour que le bon livre soit lu.
Puisque l’Etat nous confère la responsabilité de superviser le réseau de Lecture publique dans notre pays, vous mesurez très certainement l’ampleur de la mission mais dans le même temps, notre enthousiasme à nous y atteler.
Dès lors, la Direction du Livre et de la Promotion de la Lecture (DLPL) place l’accessibilité du livre au cœur de ses actions. Concrètement, nous déployons plusieurs stratégies pour rapprocher le livre du citoyen à travers les bibliothèques. Au titre de ces dernières figures, il y a le soutien et le développement du réseau de bibliothèques publiques à travers la construction, la réhabilitation et à l’équipement des bibliothèques publiques sur l’ensemble du territoire national. Pour ce faire, nous travaillons en bonne intelligence avec les collectivités locales disposées à donner du sens à la Culture en tant que compétence transférée.
Dans certaines circonstances, nous engageons la réhabilitation d’édifices mis à disposition par les maires   pour les paramétrer au modèle d’une bibliothèque publique. C’est dans le même esprit que nous constituons les fonds documentaires, les équipements informatiques et audiovisuels. Sans oublier le dispositif pour une bonne connectivité et un accès performant à l’internet et aux ressources qu’il abrite.

Notre intervention s’étend aussi et surtout aux stratégies d’animation pour offrir aux usagers les meilleures chances d’utilisation optimale des collections de la bibliothèque. Et pour parachever et encadrer ce partenariat, une convention est signée entre le Ministère en charge de la Culture et la collectivité bénéficiaire. Elle spécifie très précisément les obligations dont le strict respect par les parties contractantes garantit les conditions d’un fonctionnement optimal et d’une bonne durabilité de l’institution. Mais nous devons à la vérité de reconnaître que des efforts s’imposent pour un meilleur maillage du pays. L’enjeu étant d’assurer l’égale dignité des citoyens pour l’accès équitable à l’information.
Conscients de l’évolution des pratiques de lecture, nous encourageons les bibliothèques à diversifier leurs collections en proposant, au-delà des livres physiques, des ressources numériques (e-books, audiobooks), des revues, des bandes dessinées, etc. Nous soutenons également le développement de services innovants tels que les bibliobus, les bibliovelos pour atteindre les populations éloignées en leur offrant des animations culturelles autour du livre tels que des  clubs de lecture en public, des ateliers d’écriture, des rencontres avec des auteurs etc.
Sous ce dernier rapport, les éditions Moukat et Aminata Sow Fall ont mis en œuvre des solutions pratiques et originales pour diffuser le livre dans les régions les plus excentrées du pays.
La qualité de l’accueil et du service est essentielle. Nous mettons un accent particulier sur la formation continue du personnel des bibliothèques afin qu’il puisse accompagner au mieux les lecteurs et promouvoir la lecture sous toutes ses formes. Ces formations sont offertes à l’occasion des grands événements littéraires organisés par le ministère ou à l’occasion d’inspections organisées à l’échelle du réseau national de Lecture publique.                    

Au-delà de quelques actions ponctuelles ayant une résonance purement symbolique, nous n’avons pas de collaboration étroite avec les ministères de l’Éducation et de la Formation Professionnelle. Pour renforcer les relations  entre les bibliothèques scolaires et les bibliothèques publiques, favorisant ainsi une continuité dans l’accès au livre dès le plus jeune âge. Des partenariats sont également établis avec les associations et les acteurs de la société civile pour multiplier les initiatives de promotion de la lecture.

Le projet de Bibliothèque nationale du Sénégal est souvent évoqué mais tarde à se concrétiser. Où en est-on aujourd’hui, et quelle est la vision portée par votre direction pour cette institution ?


Le projet de Bibliothèque nationale du Sénégal est en effet un dossier qui a la vie dure puisqu’il a figuré et en bonne place dans les grands projets de tous les présidents de notre pays.

La construction de la BNS, est un projet porté par tous les Chefs d’Etat du Sénégal, de Léopold Sédar Senghor à Bassirou Diomaye Faye. Les bibliothèques ont toujours été des instruments privilégiés d’information, d’éducation et de formation au service des communautés.
Conscientes de cet enjeu, les autorités sénégalaises avaient pris dès les années 1970, un certain nombre de dispositions législatives et réglementaires aptes à favoriser le développement des bibliothèques dans notre pays). Les difficultés conjoncturelles n’ont jusqu’ici pas permis sa réalisation. Il est donc heureux de voir les Hautes autorités afficher leur volonté de construire une bibliothèque nationale digne du Sénégal, pays de Culture par excellence. Et cette volonté s’est encore affirmée lors de votre Discours de politique générale, prononcé le 27 décembre 2024. D’ailleurs, et comme par anticipation, déjà en 2022, nous avons organisé un atelier qui a réuni des spécialistes de l’information documentaire, des experts en management et des représentants de l’administration et d’universitaires, pour réfléchir sur la configuration de la futur BNS en privilégiant son contenu, ses opérateurs et l’adaptation de ses missions aux enjeux de développement de notre pays et du continent africain. Ce travail va se poursuivre dans une dizaine de jours pour, cette fois-ci mettre à jour la loi de 2002 et préparer ses décrets d’application. Nous avons espoir de voir toutes ces initiatives aboutir à la réalisation de la BNS qui marquera notre souverainement culturelle d’autant que ce volet est inscrit dans l’agenda national de transformation 2025-2029
Ce dossier à atteint un seuil de maturation rarement egalé qui permet d’affirmer qu’il est aujourd’hui à un tournant décisif. Les études techniques et architecturales, qui ont nécessité une expertise pointue pour concevoir un bâtiment à la hauteur des ambitions du Sénégal, sont désormais achevées.
La volonté politique est bien présente, et nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités pour concrétiser cette vision.

Notre ambition pour la Bibliothèque nationale est de créer un véritable pôle culturel et intellectuel, un lieu de savoir et d’innovations ouvertes à tous. Au-delà de sa fonction de conservation et de valorisation du patrimoine écrit, elle aura vocation à être à la fois un centre de ressources et de recherche de référence, en offrant un accès privilégié aux chercheurs, étudiants et professionnels à des collections riches et diversifiées ainsi qu’à des outils numériques de pointe. Elle est appelée à devenir un acteur majeur de la digitalisation du patrimoine, en contribuant ainsi à sa préservation et à sa diffusion. La Bns accordera un intérêt spécifique au patrimoine écrit sénégalais en particulier les manuscrits anciens et les documents rares grâce à des technologies de pointe.

La Bibliothèque nationale ambitionne de favoriser la coopération internationale en établissant des partenariats avec d’autres bibliothèques nationales et institutions culturelles à travers le monde, afin d’enrichir ses collections et de promouvoir les échanges intellectuels. Elle se veut également un espace de vie et de partage, proposant des lieux adaptés à tous les publics, y compris les enfants et les personnes en situation de handicap, tout en organisant des événements culturels et des activités pédagogiques. L’accessibilité, tant physique que numérique, y est une priorité absolue : cette institution se veut inclusive, accueillante pour tous, et pleinement ouverte à la diffusion du savoir et de la culture.

En résumé, la Bibliothèque nationale du Sénégal est un projet ambitieux et structurant, qui contribuera à renforcer la souveraineté intellectuelle du pays et à promouvoir le rayonnement de sa culture.


Sur la scène internationale, on voit de plus en plus d’écrivains sénégalais invités dans les grands salons. Comment la DLL accompagne-t-elle cette diplomatie culturelle à travers le livre ?

Il est indéniable que la littérature sénégalaise rayonne de plus en plus sur la scène internationale, et c’est une source de fierté et de motivation pour nous. La Direction du Livre et de la Promotion de la Lecture (DLPL) joue un rôle central dans cette dynamique, en agissant comme un véritable catalyseur de la diplomatie culturelle à travers le livre.

Notre action en faveur de la littérature sénégalaise s’articule autour de plusieurs axes complémentaires visant à renforcer sa visibilité et son rayonnement international. Nous soutenons activement la participation des auteurs, éditeurs et professionnels du livre aux grands rendez-vous littéraires mondiaux tels que la FILDAK, ainsi que les foires et salons du livre les plus prestigieux comme celui de Paris, Francfort, Abidjan, Alger, Rabat, Tunis, ou encore Le Caire. À travers un appui financier, une assistance logistique et des stands dédiés, nous permettons à la littérature sénégalaise de se faire une place sur la scène mondiale, sans oublier les échanges dans le cadre des accords d’échanges culturels entre le Sénégal et certains pays comme le Maroc et la Tunisie où nous envoyons également des acteurs du livre.

Ces importants évènements inscrits dans l’agenda international sont des vecteurs importants de rayonnement du Sénégal notamment la diplomatie culturelle. Nous n’oublions pas pour autant nos représentations diplomatiques à l’étranger. En effet, ces salons nous offrent l’heureuse opportunité d’installer des coins de lecture qui deviendraient plus tard des bibliothèques avec l’accompagnement des autorités consulaires des capitales où se tiennent ces salons et foires du livre.


Les prix littéraires se multiplient au Sénégal. Faut-il, selon vous, mieux structurer cet espace pour préserver leur crédibilité et encourager l’excellence ?

La multiplication des prix littéraires au Sénégal témoigne de la vitalité de notre scène littéraire, mais elle soulève également des questions cruciales quant à leur structuration et leur crédibilité. Il est impératif de mettre en place un cadre clair et transparent pour garantir l’excellence et l’intégrité de ces distinctions.

Nous proposons une approche en deux volets pour structurer l’espace des prix littéraires au Sénégal. D’une part, l’élaboration d’une charte nationale des prix littéraires permettrait de poser des bases claires et consensuelles. Elle définirait des critères de sélection rigoureux, assurerait la transparence dans la composition et le fonctionnement des jurys, et instituerait un calendrier régulier de remise des prix. Cette charte viserait également à mettre en place des mécanismes de promotion des lauréats, renforçant ainsi la crédibilité des distinctions littéraires et leur impact réel sur la carrière des auteurs.

D’autre part, la restructuration du Grand Prix du Chef de l’Etat pour les Lettres qui exprime l’imperium du Protecteur des Arts et des Lettres qui est établi par la Constitution de notre pays. En effet, il nous paraît essentiel, tout en encourageant les initiatives privées, de renforcer l’image et le prestige, qui viendrait chapeauter l’architecture de la reconnaissance et de la valorisation de l’excellence par les Lettres. Le Grand prix doit rester  la vitrine de notre création littéraire à l’échelle nationale comme internationale. Il encouragerait la professionnalisation des métiers du livre et stimulerait la création dans toutes ses formes. En complément, il est essentiel de favoriser la diversité des distinctions à travers des prix thématiques (jeunesse, poésie, théâtre…) et régionaux, tout en associant l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre à cette dynamique : auteurs, éditeurs, libraires, critiques et lecteurs.

En structurant ainsi le paysage des prix littéraires, nous visons une meilleure reconnaissance des talents, une valorisation durable de la culture sénégalaise, et une gestion plus efficace des ressources mobilisées pour soutenir ce secteur stratégique. Cette initiative renforcerait la transparence, la visibilité des œuvres, et favoriserait un écosystème littéraire équitable, vivant et rayonnant.


En juin prochain, vous organisez le Forum national du livre et de la lecture. Que peut-on en attendre et comment souhaitez-vous mobiliser les différents acteurs du secteur ?

Le Forum national sur le livre et la lecture, prévu en juin 2025, est un événement majeur pour l’avenir du livre au Sénégal. Il s’agit d’une initiative ambitieuse qui vise à rassembler tous les acteurs de la chaîne du livre pour repenser ensemble la politique du livre et de la lecture pour la prochaine décennie.

Le Forum national du livre et de la lecture se veut un espace de dialogue ouvert, de réflexion collective et de propositions concrètes autour des grands enjeux du secteur au Sénégal. Il s’agira d’abord d’établir un diagnostic précis de la chaîne du livre, en identifiant ses atouts, ses faiblesses, mais aussi les opportunités à saisir et les menaces à surmonter. Cette démarche permettra de co-construire une feuille de route nationale définissant des objectifs clairs, des priorités stratégiques et des actions concertées pour renforcer la structuration du secteur, favoriser la collaboration entre les différents acteurs : auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires et encourager la professionnalisation.

Ce forum portera également une attention particulière à la promotion de la lecture, en particulier chez les jeunes, ainsi qu’aux potentialités offertes par le numérique. Des stratégies seront discutées pour rendre le livre accessible à tous, tout en tenant compte des réalités de la fracture numérique. Pour garantir une large mobilisation, une stratégie de communication inclusive sera mise en œuvre, combinant consultations préparatoires, plateforme participative en ligne, partenariats stratégiques et campagne grand public. Ce rendez-vous national se présente comme une étape décisive pour bâtir une vision partagée du livre au Sénégal et inscrire durablement la lecture au cœur du développement culturel et éducatif du pays.

Propos recueillis par Babacar Korjo Ndiaye – Le Témoin quotidien