21 mai 2025 | Jacmel,

ce jour-là où le vent ressemble à une main douce.

Mon cher Zach, zanmi lwen1,

Même les plus grands voyous de la poésie ont toujours su garder, quelque part dans la manche, un reste d’élégance. C’est dans cet esprit que je t’écris, depuis Jacmel — ville où les femmes s’appellent Adriana dans les rêves et marchent, le soir, avec des pas de pluie.

Je dois t’avouer que le silence a duré. Trop longtemps peut-être. D’un côté moi, luttant pour tenir debout dans un pays où vivre tient de la prouesse ; de l’autre, toi, dans une France où les mots comme “fascisme” ou “racisme” osent parfois se faire passer pour vertus — à poser sur la langue comme l’hostie du dimanche.

Mais heureusement, malgré ce qui nous est arraché — les êtres, les âges, les repères — il reste la poésie. Cela peut sembler banal, dit comme ça. Mais c’est l’expérience de vivre, dans sa nudité la plus crue, qui rend la poésie humaine. C’est elle qui garde trace quand tout se perd. Et tout ce qui se gagne dans une amitié.

Pour les nouvelles : je suis encore à Jacmel. En ce moment, je co-organise un événement intitulé Le festival des îles qui marchent — un rêve d’archipel qui se donne la main. L’idée est simple : bâtir un pont dans la Caraïbe, pour que les îles se parlent, s’écoutent, se lisent. Nous avons trop longtemps regardé vers l’Occident ; il est temps de savoir ce que mijotent nos voisins, ce que nos sœurs et frères d’îles ont à nous dire, à nous chanter, à nous crier. De l’Afrique à la Caraïbe, en passant par Haïti : c’est la trajectoire que nous dessinons à même nos fragilités.

Et puis, j’ai terminé une pièce de théâtre sur Défilé, la lavandière de la Révolution haïtienne

— celle qui a recueilli les restes de l’Empereur Dessalines. Je me suis permis quelques libertés : c’est une tragi-comédie où l’absurde a pris place, avec le sérieux d’un invité qui ne veut plus partir. Je t’en parlerai plus longuement, un de ces jours, autour d’un café imaginaire.

Mais toi, dis-moi : que mijote la cuisine littéraire là-bas ? Quel plat est prêt à être savouré ? Ici, malgré tout, nous écrivons. Comme on allume une chandelle pour ne pas tout oublier. Littérature et amitié,

Ar Guens Jean Mary

1 Ami lointain