Une écriture à flux tendu presque sans dialogue.
Touré investit les chaos, fouille dans les marges, décèle les fissures familiales.
Le cadre urbain sert d’ arrière- plan à ces huit textes qui composent le recueil. Un trait d’ union entre désespoir et déchéance
La première  nouvelle, « Cette ville- là », décrit une cité malsaine où la violence pousse au coin des ruelles comme une herbe folle. Ici, c’ est un maelstrom où la bêtise est au bout du fusil. Un macchabee  tente de reprendre la parole pour démêler les fils tordus de sa vie, il se perd fatalement dans les dedales sombres de ce bouge.


Toure campe un univers impitoyable. Un monde peuplé de lâcheté, d’échecs où les personnages butent contre les impasses de leur vie.  Il y a un cycle vicieux de la poisse. Une filiation de la fatalité. Comme dans « Amours familiales ». Une transmission quasi génétique (Anna Tiatiana ) d’une maternité vagabonde.

Toure jette une lumière crue et cruelle sur une modernité cynique où la solidarité et l’ empathie f… le camp .  Du coup, les personnages s’abîment dans une grande solitude.
« Compter les poteaux »
crayonne en traits foncés le destin des chômeurs longue durée, pris en tenaille entre une  oisiveté chronique et le mépris social.  A la lecture de ce texte, on peut être surpris de trouver sous la plume du nouvelliste,  écrivain attaché à la correction de la langue ( un peu trop parfois), de croiser un parler plus familier, un rare moment de relachement académique. Mais le titre de la nouvelle était déjà évoqueur quant à la perméabilité de l’auteur au français sénégalais : « Compter les poteaux. » pour désigner l’oisiveté.   » Matérialiste »  qui n’a rien de dialectique, mais caractérise un attrait les biens éphémères. On trouvera plus loin le verber « droiter » en usage chez les chauffeurs. Une contamination involontaire ? ou une volonté ( salutaire) de décontracter la lecture.
Dans la même veine, le recours  fréquent à la métaphore, aux expressions idiomatiques rend la prose parfois prévisible.

Le style descriptif l’emporte largement chez Touré. Qu’ il soit l’émanation d’ un narrateur omniscient ou un récit à la première personne, le texte n’est jamais avare en digressions. Certaines nouvelles se lisent plus comme des fragments d’essai où se greffent des ingrédients de 186la satire sociale. La réflexion est présente sur le temps, la solitude, le travail de création, les liens sociaux.


Toure aime les extérieurs jour. Fin observateur, il écume les rues, saisit les sons, les klaxons, les odeurs, les couleurs. Sa ville, « cruelle et anonyme » est le lieu de tous les possibles.
Paradoxalement, le nouvelliste, influencé sans doute par le roman réaliste ( il est spécialiste de Flaubert), n’ en est pas moins adepte du huis-clos. Plusieurs nouvelles sont construites sur le modèle de l’enfermement

« En retrait »  décrit la misère sociale du troisième âge. Malgré une réussite matérielle probante, El hadji Abdou vit  enfermé dans ses cages en béton. Le syndrome du nid vide. Les enfants ont grandi et quitté la maison. La femme qui appelle son mari  » Grand » en lieu et place d’un roucoulant « Aladj », est une « carriériste » avant tout.

Solitude létale aussi de l’artiste pris en otage par son œuvre.

« Apparences » est une autre nouvelle dont la cadre est intérieur.  Construit sur le préjugé, les faux-semblants, le quiproquo, c’est sans doute l’un des textes le plus subtiles de ce recueil.

Malaise est dans l’ entre-deux.  Scène extérieure. Pensées intérieures. Le personnage, assis dans son véhicule, observe, une jeune femme saisie par un instant de faiblesse. « Doit-je sortir  l’aider ou continuer tranquillement ma route ?  » Comme si de rien n’était.  Cette situation, on l’ a retrouve dans la nouvelle « Super Héros », éponyme du  précédent recueil de Magueye Touré.

Le manque d’empathie est- il le mal de notre époque ?
« L’ Eléphant perdu au pays des lucioles » traverse les âges et les milieux sociaux.  C »est pour mieux illustrer  le craquelement généralisé du lien social et le cynisme ambiant.


Maguèye Touré est principalement auteur de nouvelles, genre qui lui a valu des distinctions (Prix Cénacle du Livre 2021; Prix Aminata Maiga Ka 2022.)  Il est par ailleurs Docteur ès Lettres (Une thèse sur Flaubert, ça laisse des traces). Il  responsable dans l’Administration francophone.



Abdou Rahmane Mbengue
Journaliste Critique littéraire