Ô poète endeuillé, toi qui erres parmi les plaines gelées du Nord, qu’as-tu donc fait de ta lumière ancienne ? Où sont les rires clairs de l’enfance, les chants des savanes dorées, les caresses du vent chaud sur ta peau noire d’ébène ? Pourquoi ce long exil, cette marche sans fin vers un monde sans couleurs, sans chaleur, sans mémoire ?
Tu chantes ta vierge adorée, mais ce n’est pas seulement une femme que tu pleures — c’est une époque, une terre, un toi-même plus vrai, plus pur, plus heureux. Sous les traits de cette muse aux pieds légers dans la poussière rouge, c’est ta jeunesse que tu convoques, ton insouciance de jadis, ta joie d’être au monde, intacte, invincible, avant que ne tombent sur tes épaules les manteaux lourds de l’âge, du doute et de la lucidité amère.
Ah ! qu’ils sont cruels les jours de la connaissance ! Quand l’enfant devient homme, que l’innocent devient témoin, que le cœur qui battait au rythme des tam-tams et des étoiles se met à trembler sous le glas du désenchantement. Tu sais désormais ce que l’enfant ignore : que ce monde est rude, que la justice n’est qu’un mirage, que les hommes sont des loups, et que l’exil n’est pas qu’un déplacement géographique, mais une fracture intérieure.
Les succubes de tes nuits — ce ne sont point de vaines chimères : ce sont les souvenirs gangrenés par le regret, les désirs déchus, les vérités trop tranchantes. Ce sont les songes noirs que t’a laissés l’Exil glacé, cette contrée où le ciel est bas, où les cœurs sont clos, où la peau parle avant la parole, où l’on apprend à survivre mais non à vivre. Et toi, homme mûr, tu ne dors plus : tu veilles, hanté, déraciné, démembré de toi-même.
Tu cherches ton étoile, dis-tu — mais ce n’est pas l’amour que tu cherches, c’est l’enfance. Ce n’est pas une femme que tu pleures, c’est une patrie. Ce n’est pas un corps, mais un souffle, une lumière. Tu veux retrouver ce que le temps emporte et que nul ne rend : la confiance en demain, l’élan naïf, l’éblouissement du monde.
Mais hélas ! l’enfance ne revient pas, et la savane dans ton cœur est devenue cendre. Et pourtant, ton cri la ravive, ton verbe la ressuscite. Car chaque mot que tu poses sur la page est un pas vers la terre rouge, un retour symbolique, un chant de mémoire. Ainsi, même exilé, même flétri par l’âge, même assailli par les démons du présent, tu es encore debout, porteur de feu et de vérité.
Et c’est peut-être cela, l’ultime victoire du poète : non de vaincre le temps, mais de témoigner de sa blessure. Non de retrouver l’innocence, mais de pleurer sa perte avec assez de beauté pour qu’elle devienne offrande.
Lisons donc ce poème comme on écoute un chant venu du fond des âges — celui d’un homme qui, en pleurant son amour, pleure aussi sa terre, son passé, et peut-être le monde tel qu’il aurait dû être.

Où donc est passée ma vierge adorée,
Elle, la fleur d’ébène sous la rosée du matin,
Celle dont la chevelure tresse les vents
Et dont le rire éclaire la nuit des savanes ?

Houri aux divines caresses,
Voix d’eau vive qui chante entre les rochers,
Peau de soie où s’écrivent les psaumes de l’aube,
Tu étais mon rivage, mon havre, mon éternité.

Mon unique horizon sur cette terre brûlée,
Telle une pirogue errante, je cherche ton étoile.
Où sont passés tes pas, danse sacrée des ancêtres,
Pour que l’ombre, funeste amante, s’empare de mes songes ?

Dans mes nuits lourdes marchent des succubes,
Leur souffle trouble l’ivoire des clairières.
Ils tissent des voiles sombres autour de mon cœur
Et m’arrachent aux mémoires de ton parfum.

Reviens, ô muse des terres rouges,
Reviens, ô promesse d’un ciel apaisé.
Car sans toi, je ne suis que poussière dispersée,
Qu’une flamme vacillante sous le vent du désert.

Sémou MaMa DIOP