Le dernier des arts (Présence Africaine, 2024) est un roman qui a l’allure d’un essai dans sa capacité à déchiffrer la realpolitik. L’auteur, Fary Ndao, y procède à une fouille profonde des motivations de l’engagement politique. Sibi, le narrateur, personnage principal et candidat, cherche sans fard au fond lui-même, ce qui l’a mené sur la scène politique, et dans cette entreprise de compréhension de lui-même, il ne s’autorise aucune indulgence, c’est d’abord l’égo qui nous jette dans la folle arène politique, un désir insatiable de pouvoir, de puissance et de triomphe. Au fil de son diagnostic intérieur et du contact avec les militants et des problèmes quotidiens avec leur lot de sensibilité, Sibi semble penser qu’au fond, cet art qu’est la politique résulte d’une conscience touchée par la pauvreté, les misères, et le devoir de sauver, de nourrir cet espoir qui s’entretient quand les populations commencent à adhérer aux idéaux, et à croire au changement. Un mythe à préserver.

Même si «l’humilité est une qualité partout sur terre sauf en politique», les politiciens ont bien conscience qu’ils ne peuvent pas faire cavalier seul. Au cœur d’une campagne électorale, Sibi est entouré dans son Qg d’une équipe dévouée prête à tout pour l’élire à la Présidentielle, lui l’acteur, se retrouve ainsi spectateur découvrant des manigances, des magouilles, des coups bas, des corruptions qui impactent son foyer, son avenir politique et sa réputation. Cependant au milieu de ces turbulences, des stratégies, des discours et des communiqués sont déployés pour désamorcer, il tente de reprendre le contrôle des choses parfois au prix de l’entorse des valeurs et des convictions qui lui sont pourtant si chères.

Sibi «découvre» ainsi que le monde politique n’est pas un monde de bisounours, lui, l’enfant terrorisé par un père autoritaire qui n’a jamais su agir : sa femme Zeynab lui reproche sa passivité, Pape, un de ses hommes de confiance, lui reproche également son manque de réalisme. Sibi, c’est, pourrait-on dire, l’agneau au milieu des loups : trop idéaliste, trop optimiste sur l’homme, il est toujours surpris par la fourberie, la méchanceté et la jalousie des uns et des autres.


Ce roman a eu le mérite de s’approprier un thème (la politique) que l’on traitait d’habitude par le concept pour comprendre le sens qu’il recèle et les enjeux qui s’y jouent pour l’analyser artistiquement dans un style romanesque particulier qui allie humour des personnages, poétique des lieux et propos, symbolique des retrouvailles amicales, politiques et familiales.

C’est un roman absolument magnifique, on rit de certains passages, on s’évade par moments, on apprécie le réalisme narratif de l’auteur qui est attentif à tout ce qui se passe autour des personnages. On admire ainsi des personnages, on en déteste d’autres, on se reconnaît dans certains, on éprouve du mépris envers d’autres.

Un roman ça revigore, ça bouscule nos représentations. Le dernier des arts arrive à le faire avec brio, à refaçonner notre regard sur les politiciens qui sont après tout, des hommes, comme nous autres, qui vivent avec les mêmes contradictions que nous, les mêmes dilemmes et complexités auxquels nous faisons face au cours de notre vie.

Les scènes de Sibi et sa fille, Sarah, sont particulières. Elle est la seule qui, dans cette aventure politique fastidieuse, arrive à illuminer la vie de son père pris entre le marteau et l’enclume. Les enfants sont des anges envoyés gracieusement dans nos vies d’adultes difficiles au sein desquelles ils nous apportent douceur et lumière.

Ou encore l’estime mutuelle que se vouent le doyen Diassé et Sibi qui partagent des idées fortes et conçoivent la politique comme un don de soi pour une libération des masses. Leur échange d’érudition sur la lecture, la littérature sont un moment fort du roman. Diassé est un intellectuel fascinant très admiré par Sibi qui voit en lui l’incarnation de l’idéal du politique, désintéressé et totalement engagé pour la cause des masses paysannes, mais qui n’arrivera jamais à convaincre un électorat habitué aux petits politiciens imbus de leur personne et égoïstes n’ayant, très souvent, qu’un rapport de jouissance avec le pouvoir.

Ce roman est pour tous. Les étudiants en sciences politiques y trouveront une analyse digeste et littéraire du fait politique. L’échange de Sibi et Asc au palais de la République, deux protagonistes au second tour de la Présidentielle, est un cours magistral sur les différentes conceptions de l’Etat. Avec son inexpérience du pouvoir et sa fibre sociale, Sibi à une vision idéaliste et sociale de l’Etat, pour lui, l’Etat doit placer l’humain au centre de ses actions, prendre en charge les aspirations profondes. Pour Asc qui exerce le pouvoir, il s’agit d’être réaliste et d’agir en fonction des circonstances, en faisant l’essentiel, sans trop chercher à se perdre.

Les étudiants en philosophie pourront également y trouver des pistes d’éclaircissement de certaines visions de l’Etat et du fait politique développées par certains philosophes.

Voilà ce que Fary Ndao a réussi, un livre total sur la politique qui ne laisse, ni coin ni recoin de l’espace politique… Les amitiés, le lien familial, les alliances, le mariage, tout est pénétré par la politique, et l’auteur nous ouvre les yeux sur ces espaces insoupçonnables de la politique.


Mafama GUEYE