Aminata Sow Fall , Le Revenant, 1976

La romancière Aminata Sow Fall , née à Saint-Louis du Sénégal., fait partie des pionnières de la littérature africaine écrite par des femmes.
Successivement enseignante, auteure de manuels scolaires et responsable d’une maison d’édition, elle porte dans chacun de ses romans ( Le Revenant 1976 , La Grève des Battú, 1980. L’appel des arènes, 1982. L’ex père de la Nation, 1987. Le jujubier du Patriarche, 1993. ) un regard critique sur une société contemporaine pétrie de contradictions, entre valeurs traditionnelles et modernité mal assumée.
Le revenant comme l’indique le titre, raconte la « résurrection » de Baka , le héros du roman. Il est déclaré mort, noyé. Sa famille décida alors après quelques jours , d’organiser ses obsèques. Yama , la soeur de Bakar , femme mondaine , épouse d’un riche homme, organisa de grandes funérailles en l’honneur de son frère. Pourtant, elle s’était détournée de lui quand ce dernier avait eu maille à partir avec la justice. Bakar avait détourné de l’argent de sa boite pour faire face aux nombreuses dépenses à l’occasion de son mariage ( de yax bu rëy) organisé en grande pompe par sa soeur Yama.
C’est encore elle qui dirigeait la cérémonie funéraire. Les  » diaxals » des nantis étaient notés dans un cahier. Bakar , déguisé assista à ses propres funérailles et put mesurer l’hypocrisie de la société et en particulier celle de sa famille. Il a fallu qu’il meure pour que toutes les personnes qui ignoraient ses joies et ses peines et même son existence , aient une pensée bienveillante pour lui. Il a connu la déchéance après avoir été une personnalité en vue des quartiers populaires de Dakar. Son long chômage après être élargi de prison lui a permis de découvrir la vraie nature des gens , de celle de son entourage, de sa propre famille. C’est le pouvoir et le prestige qui définissent la place de l’individu dans l’échelle sociale.
Étant rejeté des siens, abandonné par tous, il se fit passer pour mort afin de réveiller la conscience des siens. Le soir de ses funérailles, il apparut brusquement pour exiger de sa famille, l’argent de son  » sarax ».
Voici un extrait narrant sa réapparition.

 » Dans la chambre de Yaye Ngone , toute la famille au grand complet- Yama trônait, Bigué tenait un carnet, les autres écoutaient. Bakar frappa trois petits coups à la porte qui était verrouillée de l’intérieur.

  • Ce doit être un effronté, dit Fanta . A cette heure-ci, ils peuvent quand même nous laisser tranquille! Que personne ne réponde.
    Biguè lisait et au fur et à mesure qu’elle énonçait les chiffres, Yama sortait du sac qu’elle avait sur elle, des liasses correspondant à la somme annoncée , et les posait sur la natte, devant elle. Encore trois petits coups discret et réguliers.
  • Laisse -le frapper jusqu’à demain, suggéra Fanta . Ce doit être quelqu’un qui n’a aucun savoir vivre .
    Les coups redoublérent, plus intenses, avec plus d’insistance.
    Si je voyais qui c’est? Demanda le père Ousseye.
  • Non, dit Yama. Quand même! On peut se reposer non!
    Les coups ne s’ espacérent plus. Tante Ngone fixait des yeux inquiets sur la porte.
  • Mais vas y, Biguè, dit Fanta. Continue. Quand il sera fatigué, il partira.
    Il ne se fatigue point. Ils en eurent par dessus la tête. Yama jeta une écharpe sur l’argent.
  • Papa, ouvre et dis lui que ce n’est pas une heure pour déranger les gens.
    Quand le père Ousseye eut entrouvert la porte, Bakar s’engouffra avec force, à l’intérieur. On lui jeta des regards méchants. Bakar laissa tomber son chapelet, enleva son turban et son boubou.
    On aurait dit que la foudre était tombée soudain quand ils reconnurent le caftan bleu de Bakar , celui- là même qu’il avait le jour de sa libération.
  • Qu’est ce qu’il y a? Crièrent-ils tous à la fois, interdits.
  • C’est moi Bakar Diop , votre fils ,votre frère, je suis revenu.
  • La illah ha illa la! Li lanla?( Mon Dieu, Qu’est que c’est? )
    Ils frissonnérent. Ils n’en doutérent plus. C’était le visage décharné de Bakar.
  • Je suis ressuscité, continue Bakar. Savez vous pourquoi? Pour venir recueillir mon  » sarax » C’est le bon Dieu. . »

Bonne lecture.

  • sarax, diaxal: offrande pour le disparu. ( de l’argent en général)

Bity Kébé